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Le Lis et le Lion

Le Lis et le Lion

Titel: Le Lis et le Lion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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Les jeunes écuyers nobles présentent aux invités les
breuvages d’avant repas, les vins aux aromates, les dragées épicées, et les
amandes émondées sur des coupes de vermeil. Ils sont attentifs à ne faire ni
bruit ni faute en leur service ; ils ouvrent tout grands leurs yeux ;
ils se préparent des souvenirs ; ils diront plus tard :
« J’étais ce jour-là chez Monseigneur Robert ; il y avait le comte de
Bouville qui avait été chambellan du roi Philippe le Bel… »
    Robert parle posément,
sérieusement : une certaine dame de Divion, qu’il ne connaît que peu,
s’est venue proposer pour lui remettre une lettre qu’elle tient, avec d’autres,
de l’évêque Thierry d’Hirson… dont elle était la douce amie, confie-t-il en
baissant un peu la voix. La Divion demande argent, naturellement ; ces
femmes-là sont toutes de même sorte ! Mais le document semble
d’importance. Toutefois, avant de l’acquérir, Robert veut s’assurer qu’on ne le
gruge pas, que cette lettre est bonne, qu’elle peut servir comme pièce à son
procès et que ce n’est pas là quelque œuvre de faussaire fabriquée seulement
pour lui soutirer monnaie. C’est pourquoi il a convié ses amis, qui sont d’avis
sage et plus habiles que lui en matière d’écrits, à examiner la pièce.
    De temps en temps Robert lance un
coup d’œil à sa femme pour s’assurer de l’effet produit. Jeanne incline la
tête, imperceptiblement ; elle admire la grosse malice de son époux, et
comme ce géant retors joue bien les naïfs quand il veut tromper. Il fait
l’inquiet, le soupçonneux… Les autres ne vont pas manquer d’approuver si bonne
lettre ; ayant approuvé ils ne se dédiront plus de leur opinion, et à
travers les milieux de la cour et du Parlement se répandra la nouvelle que
Robert tient en main la preuve de son droit.
    — Faites entrer cette dame
Divion, dit Robert avec un air sévère.
    Jeanne de Divion apparaît, bien
provinciale, bien modeste ; de la guimpe de lin sort son visage
triangulaire, aux yeux cernés d’ombre. Elle n’a pas besoin de contrefaire
l’intimidée ; elle l’est. Elle sort d’une grande bourse d’étoffe un
parchemin roulé d’où pendent plusieurs sceaux, et le remet à Robert qui le
déploie, le considère un moment, puis le passe au notaire.
    — Examinez les sceaux, maître
Tesson.
    Le notaire vérifie l’attache des
lacets de soie, incline sur le vélin son énorme bonnet noir et son profil en
croissant de lune.
    — C’est bien le sceau du feu
comte votre grand-père, Monseigneur, dit-il d’un ton convaincu.
    — Voyez, mes bons sires, dit
Robert.
    On se transmet le document de main
en main. Le sire de Brécy confirme que les sceaux des bailliages d’Arras et de
Béthune sont excellents ; le comte de Bouville approche la pièce de ses
yeux fatigués ; il ne distingue que la tache verte au bas de la
lettre ; il palpe la cire, douce sous le doigt, et les larmes s’échappent
de ses paupières :
    — Ah ! murmure-t-il, le
sceau de cire verte de mon bon maître Philippe le Bel !
    Et il y a un moment de grand
attendrissement, un instant de silence où l’on respecte les longs souvenirs de
ce vieux serviteur de la couronne.
    La Divion, qui se tient en retrait
contre un mur, échange un regard discret avec la comtesse de Beaumont.
    — À présent, lisez-nous cela,
maître Tesson, commande Robert.
    Et le notaire, ayant repris le
parchemin, commence :
    — Nous, Robert de France, pair
et comte d’Artois…
    Les formules initiales ont la
tournure habituelle ; l’assistance écoute avec calme.
    — … et ci déclarons en
présence des seigneurs de Saint-Venant, de Saint-Paul, de Waillepayelle,
chevaliers, qui scelleront de leurs sceaux, et de maître Thierry d’Hirson, mon
clerc…
    Quelques regards se sont portés vers
la Divion qui baisse le nez.
    « Habile, habile, d’avoir
mentionné l’évêque Thierry, pense Robert ; cela authentifie les
témoignages sur son rôle ; tout cela s’enchaîne bien. »
    — … que lors du mariage de
notre fils Philippe nous lui avons fait investiture de notre comté, nous en
réservant la jouissance notre vie durant, et que notre fille Mahaut y a
consenti et qu’elle a renoncé à ladite comté…
    — Ah ! Mais c’est chose
capitale, cela, s’écrie Robert. C’est plus que je n’attendais ! Jamais nul
ne m’avait dit que Mahaut eût consenti ! Vous voyez, mes amis, quelle est
sa vilenie !…

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