Le Lis et le Lion
Mes Lords évêques, lesquels d’entre vous qui me jugez ce jour
n’ont pas fourni aide et trésor pour ma liberté ?… J’ai sauvé la reine
Isabelle d’être tuée par les favoris de son époux, j’ai levé des troupes et
armé une flotte qui vous ont délivrés des Despensers, j’ai déposé le roi que
vous haïssiez et fait couronner son fils qui ce jour me juge. Mes Lords,
comtes, barons et évêques, et vous messires des Communes, lesquels d’entre vous
ne m’ont pas loué pour tout cela, et même pour l’amour que la reine m’a
porté ? Vous n’avez rien à me reprocher que d’avoir agi en votre place, et
vous avez belles dents à me déchirer, pour faire oublier par la mort d’un seul
ce qui fut la besogne de tous. »
Ou bien le silence… Refuser de
répondre à l’interrogatoire, refuser de présenter une défense, ne pas prendre
l’inutile peine de se justifier. Laisser hurler les chiens qu’on ne tient plus
sous le fouet… « Mais combien j’avais raison de les soumettre à la
peur ! »
Il fut tiré de ses pensées par des
bruits de pas. « Voici le moment », se dit-il.
La porte s’ouvrit, et des sergents
d’armes apparurent qui s’écartèrent pour laisser passer le frère du défunt
comte de Kent, le comte de Norfolk, maréchal d’Angleterre, suivi du Lord-maire
et des shérifs de Londres, ainsi que de plusieurs délégués des Lords et des
Communes. Tout ce monde ne pouvait tenir dans la cellule, et les têtes se
pressaient dans l’étroit couloir.
— My Lord, dit le comte de
Norfolk, je viens d’ordre du roi vous donner la lecture du jugement rendu à
votre endroit, l’autre avant-hier, par le Parlement assemblé.
Les assistants furent surpris de
voir, à cette annonce, Mortimer sourire. Un sourire calme, méprisant, qui ne
s’adressait pas à eux mais à lui-même. Le jugement était déjà rendu depuis deux
jours sans comparution, sans interrogatoire, sans défense… alors que l’instant
d’avant il s’inquiétait de la figure à prendre devant ses accusateurs. Vain
souci ! On lui infligeait une ultime leçon ; il aurait pu aussi bien
se dispenser naguère, pour les Despensers, pour le comte d’Arundel, pour le
comte de Kent, d’aucune formalité judiciaire.
Le coroner de la cour avait commencé
de lire le jugement.
— Vu que fut ordonné par le
Parlement séant à Londres, immédiatement après le couronnement de notre
seigneur le roi, que le conseil du roi comprendrait cinq évêques, deux comtes
et cinq barons, et que rien ne pourrait être décidé hors de leur présence, et
que ledit Roger Mortimer, sans égard à la volonté du Parlement, s’appropria le
gouvernement et l’administration du royaume, déplaçant et plaçant à sa guise
les officiers de la maison du roi et de l’ensemble du royaume pour y introduire
ses propres amis selon son bon plaisir… [18]
Debout, adossé au mur et la main
posée sur un barreau du soupirail, Roger Mortimer regardait le Green et
paraissait à peine intéressé par la lecture.
— … Vu que le père de
notre roi ayant été conduit au château de Kenilworth, par ordonnance des pairs
du royaume, pour y demeurer et y être traité selon sa dignité de grand prince,
ledit Roger ordonna de lui refuser tout ce qu’il demanderait et le fit
transférer au château de Berkeley où finalement, par ordre dudit Roger, il fut
traîtreusement et ignominieusement assassiné…
— Va-t’en, mauvais oiseau, cria
Mortimer, à l’étonnement des assistants, parce que le corbeau sournois venait
de lui décharger un grand coup de bec sur le dos de la main.
— … Vu que, bien qu’il fût
interdit par ordonnance du roi, scellée du grand sceau, de pénétrer en armes
dans la salle de délibération du Parlement séant à Salisbury, ceci sous peine
de forfaiture, ledit Roger et sa suite armée n’en pénétrèrent pas moins, violant
ainsi l’ordonnance royale…
La liste des griefs s’allongeait,
interminable. On reprochait à Mortimer l’expédition militaire contre le comte
de Lancastre ; les espions placés auprès du jeune souverain et qui avaient
contraint celui-ci de se « conduire plutôt en prisonnier qu’en roi » ;
l’accaparement de vastes terres appartenant à la couronne ; la rançon, le
dépouillement, le bannissement de nombreux barons ; la machination montée
pour faire croire au comte de Kent que le père du roi était toujours vivant,
« ce qui détermina ledit comte à
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