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Le Lis et le Lion

Le Lis et le Lion

Titel: Le Lis et le Lion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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impression
étrange que de les regarder soudain depuis le niveau du sol, d’apercevoir tous
ces mentons agités, toutes ces bouches déformées par les cris, ces milliers de
narines ouvertes. Les hommes ont vraiment de mauvais visages observés ainsi, et
les femmes également, des visages grotesques et méchants, d’affreuses gueules
de gargouilles sur lesquelles on n’a pas assez frappé lorsqu’on était
debout ! Et sans cette petite bruine qui lui tombait droit dans les yeux,
Mortimer, secoué et cahoté sur sa claie, aurait mieux pu voir ces faces de
haine.
    Quelque chose de visqueux et de mou
l’atteignit à la joue, lui coula dans la barbe ; Mortimer comprit que
c’était un crachat. Et puis, une douleur aiguë, perçante, le traversa tout
entier ; une main lâche lui avait lancé une pierre au bas-ventre. Sans les
piquiers, la foule, s’enivrant de ses propres hurlements, l’eût déchiré sur
place.
    Il avançait sous une voûte sonore
d’insultes et de malédictions, lui qui, six ans plus tôt, sur toutes les routes
d’Angleterre, n’entendait s’élever que des acclamations. Les foules ont deux
voix, une pour la haine, l’autre pour l’allégresse ; c’est merveille que
tant de gorges hurlant ensemble puissent produire deux rumeurs si différentes.
    Et brusquement, ce fut le silence.
Était-on déjà parvenu au gibet ? Mais non ; on était entré à
Westminster et l’on faisait passer la claie lentement sous les fenêtres où se
pressaient les membres du Parlement. Ceux-ci se taisaient en contemplant,
traîné comme un arbre fourchu sur les pavés, celui qui tant de mois les avait
pliés à sa volonté.
    Mortimer, les yeux emplis de pluie,
cherchait un regard. Peut-être, par suprême cruauté, avait-on fait obligation à
la reine Isabelle d’assister à son supplice ? Il ne l’aperçut pas.
    Puis le cortège se dirigea vers
Tyburn. Arrivé aux Common Gallows, le condamné fut délié et rapidement
confessé. Une dernière fois Mortimer domina la foule, du haut de l’échafaud. Il
souffrit peu, car la corde du bourreau, en le soulevant brusquement, lui rompit
les vertèbres.
    La reine Isabelle se trouvait ce
jour-là à Windsor où elle se remettait lentement d’avoir perdu, en même temps
que son amant, l’enfant qu’elle attendait de lui.
    Le roi Édouard fit savoir à sa mère
qu’il viendrait passer avec elle les fêtes de Noël.
     

IV

UN MAUVAIS JOUR
    Par les fenêtres de la maison
Bonnefille, Béatrice d’Hirson regardait la pluie tomber dans la rue Mauconseil.
Depuis plusieurs heures elle attendait Robert d’Artois qui lui avait promis de
la rejoindre, cet après-midi-là. Mais Robert ne tenait aucunement ses
promesses, les petites pas plus que les grandes, et Béatrice se jugeait bien
stupide de le croire encore.
    Pour une femme qui attend, un homme
a tous les torts. Robert ne lui avait-il pas promis aussi, et depuis près d’un
an, qu’elle serait dame de parage en son hôtel ? Au fond, il n’était pas
différent de sa tante ; tous les Artois se ressemblaient. Des
ingrats ! On se crevait à faire leurs volontés ; on courait les
herbières et les jeteurs de sorts ; on tuait pour servir leurs
intérêts ; on risquait la potence ou le bûcher… car ce n’eût pas été
Monseigneur Robert qu’on eût arrêté si l’on avait pris Béatrice à verser
l’arsenic dans la tisane de Madame Mahaut, ou le sel de mercure dans le hanap
de Jeanne la Veuve. « Cette femme, aurait-il dit, je ne la connais
pas ! Elle prétend avoir agi sur mon ordre ? Menteries. Elle était de
la maison de ma tante, pas de la mienne. Elle invente fables pour se sauver.
Faites-la donc rouer. » Entre la parole d’un prince de France, beau-frère
du roi, et celle d’une quelconque nièce d’évêque, dont la famille n’était même
plus en faveur, qui dont aurait hésité ?
    « Et j’ai fait tout cela pour
quoi ? pensait Béatrice. Pour attendre ; pour attendre, esseulée en
ma maison, que Monseigneur Robert daigne une fois la semaine me visiter !
Il avait dit qu’il viendrait après Vêpres ; voici le Salut sonné. Il a dû
encore ripailler, traiter trois barons à dîner, parler de ses grands exploits,
des affaires du royaume, de son procès, flatter de la main le rein de toutes
les chambrières. Même la Divion mange à sa table, à présent, je le sais !
Et moi je suis ici à regarder la pluie. Et il arrivera à la nuitée, lourd,
rotant beaucoup et les joues

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