Le Lis et le Lion
cour herbue du donjon, sous
la clarté de la lune, les conjurés attendaient rassemblés autour du puits,
ombres années de glaives et de haches.
La jeunesse du royaume s’était
entouré les pieds de chiffons ; le roi n’avait pas pris cette précaution
et son pas fut seul à résonner sur les dalles des longs couloirs. Une unique
torche éclairait cette marche.
Aux serviteurs, allongés à même le
sol et qui se soulevaient, somnolents, on murmurait : « Le
roi », et ils demeuraient où ils étaient, se tassant sur eux-mêmes,
inquiets de cette promenade nocturne de seigneurs en armes, mais ne cherchant
pas à en savoir trop.
La bagarre éclata seulement dans
l’antichambre des appartements de la reine Isabelle, où les six écuyers postés
là par Mortimer refusèrent le passage, bien que ce fût le roi qui le demandât.
Bataille fort brève, où seul John Nevil de Horneby fut blessé d’un coup de
pique qui lui traversa le bras ; cernés et désarmés, les hommes de garde
se collèrent aux murs ; l’affaire n’avait duré qu’une minute, mais
derrière l’épaisse porte on entendit un cri échappé de la gorge de la reine
mère, puis le bruit de traverses poussées.
— Lord Mortimer, sortez !
commanda Édouard III ; c’est votre roi qui vient vous appréhender.
Il avait pris sa claire et forte voix
de bataille, celle aussi que la foule d’York avait entendue le jour de son
mariage.
Il n’y eut d’autre réponse qu’un
tintement d’épée tirée hors d’un fourreau.
— Mortimer, sortez !
répéta le jeune roi.
Il attendit encore quelques
secondes, puis soudain saisit la plus proche hache des mains d’un jeune Lord,
l’éleva au-dessus de sa tête, et, de toutes ses forces, l’abattit contre la
porte.
Ce coup de hache, c’était
l’affirmation trop longuement attendue de sa puissance royale, la fin de ses
humiliations, le terme aux arrêts délivrés contre son vouloir ; c’était la
libération de son Parlement, l’honneur rendu aux Lords et la légalité restaurée
au royaume. Bien plus que le jour du couronnement, le règne d’Édouard III
commençait là, avec ce fer brillant planté dans le chêne sombre, et ce choc, ce
grand craquement de bois dont l’écho se répercuta sous les voûtes de
Nottingham.
Dix autres haches s’attaquèrent à la
porte, et bientôt le lourd vantail céda.
Roger Mortimer était au centre de la
pièce ; il avait eu le temps de passer des chausses ; sa chemise
blanche était ouverte sur sa poitrine, et il tenait son épée à la main.
Son œil couleur de pierre brillait
sous les sourcils épais, ses cheveux grisonnants et dépeignés entouraient son
rude visage ; il y avait encore une belle force en cet homme-là.
Isabelle, auprès de lui, les joues
baignées de larmes, tremblait de froid et de peur ; ses minces pieds nus
faisaient deux taches claires sur le dallage. On apercevait dans la pièce
voisine un lit défait.
Le premier regard du jeune roi fut
pour le ventre de la reine mère, dont la robe de nuit dessinait l’arrondi.
Jamais Édouard III ne pardonnerait à Mortimer d’avoir réduit sa mère, que
ses souvenirs lui représentaient si belle et si vaillante dans l’adversité, si cruelle
dans le triomphe mais toujours parfaitement royale, à cet état de femelle
éplorée à qui l’on venait arracher le mâle dont elle était grosse, et qui se
tordait les mains en gémissant :
— Beau fils, beau fils, je vous
en conjure, épargnez le gentil Mortimer !
Elle s’était placée entre son fils
et son amant.
— A-t-il épargné votre
honneur ? dit Édouard.
— Ne faites point de mal à son
corps, cria Isabelle. Il est vaillant chevalier, notre ami bien-aimé ;
rappelez-vous que vous lui devez votre trône !
Les conjurés hésitaient. Allait-il y
avoir combat, et faudrait-il tuer Mortimer sous les yeux de la reine ?
— Il s’est assez payé d’avoir
hâté mon règne ! Allez, mes Lords, qu’on s’en saisisse, dit le jeune roi
en écartant sa mère et en faisant signe à ses compagnons d’avancer.
Montaigu, les Bohun, Lord Molins et
John Nevil dont le bras ruisselait de sang sans qu’il y prît garde, entourèrent
Mortimer. Deux haches se levèrent derrière lui, trois lames se dirigèrent vers
ses flancs, une main s’abattit sur son bras pour lui faire lâcher l’épée qu’il
tenait. On le poussa vers la porte. Au moment de la franchir, Mortimer se
retourna.
— Adieu, Isabelle, ma
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