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Le Lis et le Lion

Le Lis et le Lion

Titel: Le Lis et le Lion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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reine,
s’écria-t-il ; nous nous sommes bien aimés !
    Et c’était vrai. Le plus grand, le
plus spectaculaire, le plus dévastateur amour du siècle, commencé comme un
exploit de chevalerie, et qui avait ému toutes les cours d’Europe, jusqu’à
celle du Saint-Siège, cette passion qui avait frété une flotte, équipé une
armée, s’était consommée dans un pouvoir tyrannique et sanglant, s’achevait
entre des haches, à la lueur d’une torche fumeuse. Roger Mortimer, huitième
baron de Wigmore, ancien Grand Juge d’Irlande, premier comte des Marches, était
conduit vers les prisons ; sa royale maîtresse, en chemise, s’écroulait au
pied du lit.
    Avant l’aurore, Bereford, Daverill,
Wynyard et les principales créatures de Mortimer étaient arrêtés ; on se
lançait à la poursuite du sénéchal Maltravers, de Gournay et Ogle, les trois
meurtriers d’Édouard II, qui avaient aussitôt pris la fuite.
    La foule, au matin, s’était massée
dans les rues de Nottingham et hurlait sa joie au passage de l’escorte qui
emmenait sur une charrette, suprême honte pour un chevalier, Mortimer enchaîné.
Tors-Col, l’oreille sur l’épaule, était au premier rang de la population et,
bien que ses yeux malades vissent à peine le cortège, il dansait sur place et
lançait en l’air son bonnet.
    — Où le conduit-on ?
demandaient les gens.
    — À la tour de Londres.
     

III

VERS LES COMMON GALLOWS
    Les corbeaux de la Tour vivent très
vieux, plus de cent ans, dit-on. Le même énorme corbeau, attentif et sournois,
qui sept ans plus tôt cherchait à piquer les yeux du prisonnier à travers les
barreaux du soupirail, était revenu se poster devant la cellule.
    Était-ce par dérision qu’on avait
assigné à Mortimer son cachot d’autrefois ? Là où le père l’avait gardé
dix-sept mois enfermé, le fils à son tour le tenait captif. Mortimer se disait
qu’il devait y avoir dans sa nature, dans sa personne, quelque chose qui le
rendait intolérable à l’autorité royale, ou qui lui rendait insupportable cette
autorité. De toute manière, un roi et lui ne pouvaient cohabiter dans la même
nation, et il fallait bien que l’un des deux disparût. Il avait supprimé un
roi ; un autre roi allait le supprimer. C’est un grand malheur que d’être
né avec une âme de monarque quand on n’est pas destiné à régner.
    Mortimer, cette fois, n’avait plus
l’espérance ni même le désir de s’évader. Il lui semblait être déjà mort,
depuis Nottingham. Pour les êtres tels que lui, dominés par l’orgueil, et dont
les plus hautes ambitions ont été un moment satisfaites, la chute équivaut au
trépas. Le vrai Mortimer était à présent, et pour l’éternité humaine, inscrit
dans les chroniques d’Angleterre ; le cachot de la Tour ne contenait que
sa charnelle mais indifférente enveloppe.
    Chose singulière, cette enveloppe
avait retrouvé des habitudes. De la même manière que lorsqu’on revient, après
vingt ans d’absence dans la demeure où l’on vécut enfant, on pèse du genou
machinalement et par une sorte de mémoire musculaire sur le battant de la porte
qui autrefois forçait, ou bien l’on pose le pied au plus large de l’escalier
pour éviter le bord d’une marche usée, de la même manière Mortimer avait repris
les gestes de sa précédente détention. Il pouvait, la nuit franchir les
quelques pas du soupirail au mur sans jamais se cogner ; il avait, dès son
entrée, repoussé l’escabelle à sa place ancienne ; il reconnaissait les
bruits familiers, la relève de la garde, la sonnerie des offices à la chapelle
Saint-Pierre ; et cela sans le moindre effort d’attention. Il savait
l’heure où on lui apportait son repas, la nourriture était à peine moins
mauvaise que du temps de l’ignoble constable Seagrave.
    Parce que le barbier Ogle avait
servi d’émissaire à Mortimer, la première fois, pour organiser sa fuite, on
refusait de lui envoyer quelqu’un pour le raser. Une barbe d’un mois lui
poussait aux joues. Mais, à ce détail près, tout était semblable, jusqu’à ce
corbeau que Mortimer avait naguère surnommé « Édouard », et qui feignait
de dormir, ouvrant de temps en temps son œil rond avant de lancer son gros bec
à travers les barreaux.
    Ah, si ! Quelque chose
manquait : les monologues tristes du vieux Lord Mortimer de Chirk, gisant
sur la planche qui servait de couche… À présent, Roger Mortimer comprenait
pourquoi

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