Le Lis et le Lion
enflammées ; il me dira trois fadaises,
s’écroulera sur le lit pour y dormir une heure, et repartira. Si même il vient… »
Béatrice s’ennuyait, plus encore qu’à
Conflans dans les derniers mois de Mahaut. Ses amours avec Robert s’enlisaient.
Elle avait cru piéger le géant, mais c’était lui qui avait gagné. La passion
contrariée, humiliée, se changeait en sourde rancune. Attendre, toujours
attendre ! Et ne pas même pouvoir sortir, courir les tavernes avec quelque
amie à la recherche de l’aventure, parce que Robert pourrait justement survenir
dans ce moment-là. En plus, il la faisait surveiller !
Elle comprenait bien que Robert se
détachait d’elle et ne la voyait plus que par obligation, comme une complice
qu’il faut ménager. Deux semaines entières se passaient parfois sans qu’il lui
témoignât de désir.
« Tu ne gagneras pas toujours,
Monseigneur Robert ! » disait-elle tout bas. Elle commençait
secrètement de le haïr, faute de le posséder assez.
Elle avait essayé les meilleures
recettes de philtres d’amour : Tirez de votre sang, un vendredi de
printemps ; mettez-le sécher au four dans un petit pot, avec deux
couillons de lièvre et un foie de colombe ; réduisez le tout en poudre
fine et faites-en avaler à la personne sur qui vous avez dessein ; et si
l’effet ne se sent pas à la première fois, réitérez jusqu’à trois fois.
Ou bien encore : Vous irez un
vendredi matin, avant soleil levé, dans un verger fruitier et cueillerez sur un
arbre la plus belle pomme que vous pourrez ; puis vous écrirez avec votre
sang, sur un petit morceau de papier blanc, votre nom et surnom, et, en une
autre ligne suivante, le nom et le surnom de la personne dont vous voulez être
aimé ; et vous tâcherez d’avoir trois de ses cheveux, que vous joindrez,
avec trois des vôtres, qui vous serviront à lier le petit billet que vous aurez
écrit de votre sang ; puis vous fendrez la pomme en deux, vous en ôterez
les pépins, et, en leur place, vous mettrez le billet lié des cheveux ; et
avec deux petites brochettes pointues de branche de myrte verte, vous
rejoindrez proprement les deux moitiés de pomme et la ferez ainsi sécher au
four en sorte qu’elle devienne dure et sans humidité, comme des pommes sèches
de carême ; vous l’envelopperez ensuite dans des feuilles de laurier et de
myrte et tâcherez de la mettre sous le chevet du lit où couche la personne,
aimée, sans qu’elle s’en aperçoive ; et en peu de temps elle vous donnera
des marques de son amour.
Vaine entreprise. Les pommes du
vendredi restaient inopérantes. La sorcellerie, où Béatrice se croyait
infaillible, paraissait n’avoir pas de prise sur le comte d’Artois. Il n’était
pas le Diable, tout de même ! En dépit de ce qu’elle lui avait affirmé pour
le conquérir.
Elle avait espéré être enceinte.
Robert semblait aimer ses fils, par orgueil peut-être, mais il les aimait. Ils
étaient les seuls êtres dont il parlât avec un peu de tendresse. Alors, un
bâtard qui lui serait venu à présent… Et puis, c’eût été un bon moyen pour
Béatrice ; montrer son ventre et dire : « J’attends un enfant de
Monseigneur Robert… » Mais soit qu’elle eût dans le passé dérangé la
nature, soit que le Malin l’eût faite telle qu’elle ne pût engendrer, cet
espoir-là aussi avait été déçu. Et il ne restait à Béatrice d’Hirson, ancienne
demoiselle de parage de la comtesse Mahaut, que l’attente, la pluie, et des
rêves de vengeance… À l’heure où les bourgeois se mettaient au lit, Robert
d’Artois arriva enfin, la mine fort sombre et se grattant du pouce le piquant
de la barbe. À peine regarda-t-il Béatrice qui avait pris soin de mettre une
robe neuve ; il se versa une grande rasade d’hypocras.
— Il est éventé, dit-il avec
une grimace en se laissant choir sur un siège qui rendit un grand gémissement
de bois.
Comment le breuvage n’eût-il pas
perdu son arôme ? L’aiguière était préparée depuis quatre heures !
— J’espérais plus tôt ta venue,
Monseigneur.
— Eh oui ! mais j’ai de
graves soucis qui m’ont tenu empêché.
— Comme le jour d’hier, et
comme l’hier d’avant…
— Comprends aussi que je ne
peux me montrer entrant de jour en ta maison, surtout en ce moment qu’il me
faut recroître de prudence.
— La bonne excuse ! Alors
ne me dis point que tu viendras de jour si tu ne me veux visiter que la
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