Le Lis et le Lion
et
épées rabattues, en harnais propre pour ce faire, en timbre, cotte d’armes et
housseaux de chevaux armoyés des nobles tournoyeurs, comme de toute ancienneté et
coutume.
« Duquel tournoi sont chefs
très hauts et très puissants princes, mes très redoutés seigneurs notre Sire
bien aimé, Philippe, roi de France, pour appelant, et le Sire Jean de
Luxembourg, roi de Bohême, pour défendant. Et pour ce fait-on derechef assavoir
à tous princes, seigneurs, barons, chevaliers et écuyers des marches dessus
dites et autres de quelconque nation qu’ils soient, qui auront vouloir et désir
de tournoyer pour acquérir honneur, qu’ils portent de petits écussons que ci
présentement donnerai, à ce qu’on reconnaisse qu’ils sont des tournoyeurs, et
pour ce en demande qui en voudra avoir. Et audit tournoi il y aura de nobles et
riches prix, par les dames et damoiselles donnés.
« Outre plus, j’annonce à
tous princes, barons, chevaliers, et écuyers qui avez l’intention de tournoyer,
que vous êtes tenus de vous rendre audit lieu d’Évreux
et prendre vos auberges le quatrième jour avant ledit tournoi, pour faire de
vos blasons fenêtres et montrer vos pavois, sous peine de ne pas être reçus audit
tournoi. Et ceci il est fait assavoir de par mes seigneurs les juges diseurs,
et me le pardonnez, s’il vous plaît. »
Les trompettes sonnaient de nouveau,
et les gamins jusqu’à la sortie du bourg faisaient en courant escorte au héraut
qui s’en allait plus loin porter la nouvelle.
Les badauds, avant de se disperser,
disaient :
Cela va encore cher nous coûter, si
notre châtelain se veut rendre à ce tournoi crié ! Il va partir avec sa
dame et toute sa maisonnée… Toujours pour eux les amusailles, et pour nous les
tailles à payer.
Mais plus d’un pensait en même
temps : « Si le seigneur, des fois, voulait emmener mon aîné comme
goujat d’écurie, il y aurait sûrement une bonne bourse à gagner, et peut-être
quelque emploi d’avenir… J’en parlerai au chanoine pour qu’il recommande mon
Gaston. »
Pour six semaines, le tournoi allait
être la grande affaire et l’unique préoccupation des châteaux. Les adolescents
rêvaient d’étonner le monde de leurs premiers exploits.
Tu es trop jeune encore ; une
autre année. Les occasions ne manqueront pas, répondaient les parents.
Mais le fils de nos voisins de
Chambray, qui a mon âge, va bien s’y rendre, lui !
Si le sire de Chambray a raison
perdue, ou des deniers à perdre, cela le regarde.
Les vieillards rabâchaient leurs
souvenirs. À les entendre, on eût cru qu’en leur temps les hommes étaient plus
forts, les armes plus lourdes, les chevaux plus rapides :
Au tournoi de Kenilworth, que donna
le Lord Mortimer de Chirk, l’oncle à celui qu’on pendit à Londres cet hiver…
Au tournoi de Condé-sur-Escaut, chez
Monseigneur Jean d’Avesnes, le père au comte de Hainaut l’actuel…
On empruntait sur la moisson
prochaine, sur les coupes de bois ; on portait sa vaisselle d’argent chez
les plus proches Lombards afin de la transformer en plumes pour le heaume du
seigneur, en étoffes de cendal ou de camocas pour les robes de madame, en
caparaçons pour les chevaux.
Les hypocrites feignaient de se
plaindre :
Ah ! que de dépenses, que de
soucis ; alors qu’il ferait si bon à demeurer chez soi ! Mais nous ne
pouvons nous dispenser de paraître à ce tournoi, pour l’honneur de notre
maison… Si le roi notre Sire a envoyé ses hérauts à la porte de notre manoir,
nous le fâcherions en n’y allant pas.
Partout on tirait l’aiguille, on
battait le fer, on cousait le tissu de mailles sur le cuir des haubergeons, on
entraînait les chevaux et s’entraînait soi-même dans les vergers dont les
oiseaux s’enfuyaient, effrayés par ces charges, ces chocs de lances et grands
cliquetis d’épées. Les petits barons mettaient trois heures à essayer leur
cervelière.
Pour se faire la main, les
châtelains organisaient des tournois locaux où les hommes d’âge, fronçant le
sourcil, gonflant les joues, jugeaient des coups en regardant leurs cadets
s’éborgner. Après quoi l’on s’attablait pour dîner longuement, bâfrant, buvant
et discutant.
Ces jeux guerriers, de baronnie à
baronnie, finissaient par être aussi coûteux que de vraies campagnes.
Enfin on se mettait en route ;
le grand-père avait décidé à la dernière minute d’être du voyage, et le fils de
quatorze ans avait eu
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