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Le Lis et le Lion

Le Lis et le Lion

Titel: Le Lis et le Lion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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sujets si chacun se servait à volonté de nos sceaux pour ordonner ce que
nous n’avons point voulu ? C’est faire viol à notre honneur.
    Puis, revenant sur sa femme avec un
brusque regain de fureur :
    — Et voilà le bel emploi que
vous faites de l’hôtel de Nesle que je vous ai donné. M’avez-vous assez supplié
pour l’avoir ! Êtes-vous aussi mauvaise que votre sœur, et cette tour maudite
servira-t-elle toujours à abriter les méfaits de Bourgogne ? Que si vous
n’étiez pas la reine, par le malheur que j’ai eu de vous épouser, c’est bien
vous que j’y ferais jeter en prison ! Et puisque par d’autres ne peux vous
châtier, eh bien ! je le fais moi-même.
    Et les coups se remirent à pleuvoir.
    « Puisse-t-il la laisser
morte ! « pensait Robert.
    Jeanne s’était maintenant
recroquevillée sur le lit, les jambes battant hors de sa robe, et chaque coup
lui tirait un gémissement ou un hurlement. Puis, soudain, elle fit face comme
un chat, les ongles en avant, et se mit à hurler, les joues barbouillées de
larmes :
    — Oui, je l’ai fait ! Oui,
j’ai dérobé ton sceau dans ton sommeil, parce que tu rends mauvaise justice et
que je veux défendre mon frère de Bourgogne contre ce méchant Robert que voici,
qui nous a toujours nui par cautèle et par crime, qui, de complot avec ton
père, a fait périr ma sœur Marguerite…
    — Garde la mémoire de mon père
hors de ta bouche ! s’écria Philippe.
    À la lueur qu’elle vit dans le
regard de son époux, elle se tut, car vraiment il était bien capable de la
tuer.
    Il ajouta, élevant la main d’un
geste protecteur jusqu’à l’épaule de Robert d’Artois :
    — Et garde-toi, mauvaise, de
jamais nuire à mon frère qui est le meilleur soutien de mon trône.
    Quand il alla ouvrir la porte pour
informer son chambellan qu’il supprimait la chasse de ce jour, vingt têtes
accolées reculèrent ensemble. Jeanne la Boiteuse était détestée des serviteurs
qu’elle harcelait d’exigences, qu’elle dénonçait pour le moindre manquement, et
qui l’appelaient entre eux « la mâle reine ». Le récit de la
correction qu’elle venait de recevoir allait emplir de joie le Palais [20] .
    Vers la fin de la matinée, dans le
verger de Saint-Germain où la gelée fondait, Philippe et Robert se promenaient
ensemble, à pas lents. Le roi avait la tête basse.
    — N’est-ce pas chose affreuse,
Robert, que d’avoir à se défier de sa propre épouse, et même quand on
dort ? Que puis-je faire ? Mettre mon sceau sous mon oreiller ?
Elle y glissera la main. J’ai le sommeil lourd. Je ne puis quand même pas
l’enfermer au couvent : c’est ma femme ! Ne plus la laisser dormir
auprès de moi, c’est tout ce que je puis. Le pis est que je l’aime, cette
drôlesse ! Ne va point le redire, mais j’ai, comme tout chacun, tâté de
quelques autres au déduit. J’en suis revenu avec plus de goût pour elle… Mais
si jamais elle recommence, je la battrai encore !
    À ce moment, Trouillard d’Usages,
vidame du Mans et chevalier de l’hôtel, s’avança dans l’allée pour annoncer le
prévôt de Paris qui le suivait.
    Rond de bedaine, et roulant sur de
courtes pattes, Jean de Milon n’avait pas la mine gaie.
    — Alors, messire prévôt, vous
avez fait relâcher cette dame ?
    — Non, Sire, répondit le prévôt
d’une voix gênée.
    — Quoi ? Mon ordre
était-il faux ? Peut-être n’avez-vous pas reconnu mon sceau ?
    — Non point, Sire, mais avant
que de l’exécuter, je voulais vous en entretenir, et suis bien aise aussi de
trouver Monseigneur d’Artois avec vous, dit Jean de Milon en regardant Robert
d’un air gêné. Cette dame a confessé.
    — Qu’a-t-elle confessé ?
demanda Robert.
    — Toutes sortes de vilenies,
Monseigneur, fausses écritures, pièces contrefaites, et d’autres choses encore.
    Robert garda très bon contrôle de
soi, feignit même de prendre la chose pour plaisanterie, et s’écria en haussant
les épaules :
    — Certes, si on l’a passée à la
question, elle a dû confesser beaucoup ! Que je vous livre aux
tourmenteurs, messire de Milon, et je gage que vous confesserez m’avoir voulu
sodomiser !
    — Hélas ! Monseigneur, dit
le prévôt, la dame a parlé avant la question… par peur, simplement par peur
d’être questionnée. Elle a donné longue liste de complices.
    Philippe VI, silencieux,
observait son beau-frère. Un nouveau travail se faisait dans sa

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