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Le Lis et le Lion

Le Lis et le Lion

Titel: Le Lis et le Lion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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Robert.
    — À la tour de Nesle, Sire, dit
le clerc qui croyait se faire apprécier pour son zèle et sa bonne mémoire.
    Les deux cousins se regardèrent et
croisèrent les bras d’un geste identique.
    — Et comment le sais-tu ?
demanda le roi au clerc.
    — Sire, parce que j’ai eu
l’honneur, l’autre avant-hier, d’écrire votre ordre pour saisir cette dame.
    — Et qui te l’a dicté ?
    — La reine, Sire, qui m’a dit
que vous n’aviez point le temps de le faire et l’en aviez chargée. Les deux
ordres, pour mieux dire, celui de saisie et celui d’écrou.
    Le sang s’était complètement retiré
du visage de Philippe qui, partagé entre la honte et la colère, n’osait plus
regarder son beau-frère.
    « La belle gueuse, pensait
Robert. Je savais bien qu’elle me haïssait, mais jusqu’à voler le sceau de son
époux pour me nuire… Et qui donc a pu si bien la renseigner ? »
    — Vous ne faites pas achever,
Sire ? dit-il.
    — Certes, certes, dit Philippe
sortant de ses pensées.
    Il dicta la formule finale. Le clerc
alluma une chandelle au feu, fit couler quelques gouttes de cire rouge sur la
feuille pliée qu’il présenta au roi pour qu’il y appliquât lui-même son petit
sceau.
    Philippe, perdu dans ses réflexions,
semblait n’accorder à ses propres gestes qu’une attention secondaire. Robert
prit l’ordre, agita une cloche. Ce fut Hérouart de Belleperche qui reparut.
    — Au prévôt, sur l’heure,
d’ordre du roi, lui dit Robert en lui remettant la lettre.
    — Et fais appeler céans Madame
la reine, ordonna Philippe VI depuis le fond de la pièce.
    Le clerc Mulet attendait, regardant
alternativement le roi et le comte d’Artois et se demandant si son excès de
zèle avait été si bien venu. Robert, de la main, lui enjoignit de disparaître.
    Quelques instants plus tard la reine
Jeanne entra avec cette démarche particulière qui venait de sa boiterie. Son
corps se déplaçait dans un quart de cercle dont la jambe la plus longue formait
le pivot. C’était une reine maigre, d’assez beau visage, encore que la dent
déjà s’y gâtât. L’œil était grand, avec la fausse limpidité du mensonge ;
les doigts très longs, un peu tordus, laissaient paraître du jour entre eux
même lorsqu’ils étaient joints.
    — Depuis quand, Madame,
envoie-t-on des ordres en mon nom ?
    La reine prit un air de surprise et
d’innocence parfaitement joué.
    — Un ordre, mon aimé
Sire ?
    Elle avait la voix grave,
mélodieuse, où traînait un accent de tendresse bien feinte.
    — Et depuis quand me
dérobe-t-on mon sceau pendant que je dors ?
    — Votre sceau, doux cœur ?
Mais jamais je n’ai touché à votre sceau. De quel sceau parlez-vous ?
    Une gifle énorme vint lui couper la
parole.
    Les yeux de Jeanne la Boiteuse
s’emplirent de larmes, tant le coup avait été brutal et cuisant ; sa
bouche s’entrouvrit de stupeur et elle porta ses longs doigts à sa joue qui se
marbrait de rouge.
    Robert d’Artois n’était pas moins
surpris, mais lui, avec bonheur. Jamais il n’aurait cru son cousin Philippe,
que chacun disait si soumis à sa femme, capable de lever la main sur elle.
« Serait-il vraiment devenu roi ? » se dit Robert.
    Philippe de Valois était surtout
redevenu homme et pareil à tout époux, grand seigneur ou dernier valet, qui
corrige sa femme menteuse. Une autre gifle partit, comme si la première lui
avait aimanté la main ; et puis une grêle. Jeanne, affolée, se défendait
le visage de ses deux bras levés. La main de Philippe tombait où elle pouvait,
sur le haut de la tête, sur les épaules. En même temps, il criait :
    — C’est l’autre nuit, n’est-ce
pas, que vous m’avez joué ce tour ? Et vous avez le front de nier alors
que Mulet m’a tout avoué ? Mauvaise putain qui me mignote, se frotte à
moi, se dit toute prise d’amour, profite de la faiblesse que j’ai pour elle, et
me berne quand je dors, et me dérobe mon sceau de roi ? Ne sais-tu pas
qu’il n’est acte plus laid, pire que vol ? Que d’aucun sujet en mon
royaume, fût-ce le plus grand, je ne tolérerais qu’il usât du cachet d’autrui
sans le faire bâtonner ? Et c’est du mien qu’on se sert ! A-t-on vu
pire scélérate qui veut me déshonorer devant mes pairs, devant mon cousin, mon
propre frère ? N’ai-je pas raison, Robert ? dit-il s’arrêtant un
instant de frapper pour chercher approbation. Comment pourrions-nous gouverner
nos

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