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Le Lys Et La Pourpre

Le Lys Et La Pourpre

Titel: Le Lys Et La Pourpre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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de notre curé ?
    — Sotte commère, dit Hörner, bien t’en prend d’être une
femelle femellisante, sans cela tu aurais déjà deux pouces d’acier dans tes
tripes pour m’avoir appelé « rustre ». Sache que je suis le capitaine
Hörner, commandant l’escorte du comte d’Orbieu que tu vois à deux pas de toi
avec son père, le marquis de Siorac.
    — Et moi, dit-elle, nullement rabattue, je suis
Victorine Boulard, gouvernante de Monsieur le curé Siméon. Que veux-tu ?
    — L’entrant en ce presbytère.
    — Pour que faire ?
    — Pour parler à Monsieur le curé Siméon.
    — Ma fé ! Cela ne se peut ! Monsieur le curé
est en train de parler à sa soupe et n’entend pas qu’on lui contreparle !
    — J’attendrai.
    — Tu attendras jusqu’à la nuit des temps ! Sa
soupe finie, notre curé est dans l’habitude de s’ensommeiller deux bonnes
heures.
    — Fort bien, dit Hörner d’un ton résolu, il me recevra
donc dans l’instant. L’affaire presse. Il s’agit d’ensépulturer trois morts.
    — La peste soit de ta morgue, soldat ! répliqua
Victorine. Nous n’ouvrons pas la terre à n’importe qui ! Surtout à des
étrangers à la paroisse !
    — Ces « étrangers » étaient commandés par le
comte d’Orbieu qui est au service du roi.
    À cela, Victorine se redressa et, portant très haut la tête,
le tétin agressif, elle dit :
    — Le roi n’est point maître en notre
« sémetière » !
    — Qu’oses-tu dire là, commère du diable ?
m’écriai-je d’une voix forte, en marchant belliqueusement sur elle. Le roi est
maître de toute la terre française ! C’est crime de lèse-majesté que de
lui dénier ce droit ! Un mot de plus et je te fais pendre haut et court au
chêne de la place !
    La mégère battit alors en retraite comme un dogue qui recule
devant le bâton, grondant à la fois de peur et de fureur.
    — C’est bien, dit-elle entre ses dents, je vais vous
mener à quelqu’un qui, mieux que moi, saura vous parler. Et si vous lui parlez
à lui comme vous avez fait à moi, il vous excommuniera !
    — Sotte embéguinée ! dit mon père, c’est le pape
qui fulmine l’excommunication majeure et l’évêque du diocèse qui prononce
l’excommunication mineure et non un curé. Un curé n’a pas ce pouvoir : pas
plus à Fleury en Bière qu’en Paris.
    — Notre curé a pourtant excommunié plus d’un dans cette
paroisse et il n’est mauvais garçon ni putain cramante qui ont pu se flatter
d’en réchapper !
    — C’est grand péché ! dit mon père. Si le curé
Siméon excommunie un paroissien de son propre chef, il aura à en répondre
devant son évêque.
    Le grand air de mon père et sa connaissance des sanctions
ecclésiastiques clouèrent à la parfin le bec de la harpie. Elle craignait d’en
avoir trop dit et compromis son curé par son babillage. Sans plus piper, elle
nous introduisit dans la grande salle où nous trouvâmes le curé Siméon assis
dans une grande chaire à bras en train de manger cette soupe dont Victorine
avait parlé avec vénération.
    À notre entrant, il fit quelque effort pour se soulever de
son siège afin de nous saluer, mais sans déclore la bouche – sa langue,
ses dents et son palais étant fort occupés. Puis il retomba lourdement sur les
épais coussins dont sa chaire était garnie et, reprenant dans sa grosse main un
cuiller qui avait la taille d’une louche, il le replongea non dans un bol, mais
dans une soupière, où fumait une soupe épaisse et odorante. On y pouvait voir,
émergeant à la surface, du beurre en train de fondre, des croûtons de pain et
des morceaux de lard.
    Siméon touilla longuement ce mélange avant de remplir
derechef son cuiller qu’il porta à sa grande bouche avec un soupir d’aise, mais
perdit toute voix aussitôt dans une lente mastication qu’il conduisit à son terme
avec un air si recueilli qu’aucun de nous n’osât interrompre cette liturgie,
toute païenne qu’elle nous parût. Puis il avala d’un coup de glotte la bouillie
qui en résultait, et haut et fort, claqua sa langue.
    Lecteur, si tu désires savoir à quoi ressemblait Siméon, je
ne saurais mieux le décrire qu’en le comparant – peu charitablement, je le
crains – à une grosse chenille blafarde. Il avait la plus molle des faces
et, qui pis est, tout y paraissait sans couleur. En outre, son corps boudiné
avait l’air de se diviser en anneaux retombant l’un sur l’autre, son

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