Le Lys Et La Pourpre
lui baillât casserole et un peu d’eau dedans. Ayant dit, elle
ouvrit son ballot et nous montra son contenu.
— Eh quoi ! s’écria Hörner, éclatant de fureur,
des orties ! des orties ! Garce, oses-tu bien te gausser de Monsieur
le comte d’Orbieu que tu voudrais lui faire avaler herbe infecte et urticante,
au risque de lui brûler gosier, gaster, et boyaux ?
— Herr Hörner , dit Marie-Thérèse avec un salut
des plus polis, plaise à vous de ne point m’imputer à malice ce que je désire
faire. Mais l’ortie, une fois bouillie, ne pique pas et bien hachée et cuite
elle a le goût d’épinards, et vous nourrit le sang tout aussi bien qu’une autre
de nos herbes.
Hörner ne paraissant pas apazimé par ce discours, je me
tournai vers lui et je dis :
— Elle dit vrai, Hörner. Et cette vérité, je la tiens
de mon père qui ayant observé en son domaine du Chêne Rogneux que d’aucuns de
ses manants, par temps de famine, mangeaient des orties bouillies et s’en
trouvaient bien, voulut y goûter, leur trouva en effet un goût d’épinard, et
opina que c’était là herbe friande et saine, et un heureux don du ciel, pour
qui n’avait plus chou, artichaut, salade, asperge ou pastenade [89] en sa potagerie. Plaise à toi,
Hörner, de bailler à cette bonne garce ce qu’elle demande.
Hörner obéit, ayant depuis l’embûche déjouée de Fleury en
Bière le plus grand respect pour mon père, qu’il tenait pour l’homme le plus
savant du monde pour ce qu’il était docteur-médecin, entendait le latin et au
surplus savait la guerre. Mais il noulut toucher, même du bout des lèvres, aux
orties, même bouillies, et les Suisses non plus. Seuls en mangèrent
Marie-Thérèse, Nicolas et moi. Et Marie-Thérèse quérant de moi ce que j’en
pensais, je lui dis que cela me ramentevait, en effet, l’épinard, mais en plus
fade. À quoi Nicolas remarqua incontinent que quelques lardons relèveraient le
goût. Sur un signe que je lui fis, il s’en alla en quérir, et je vous laisse à
penser qui s’en régala le plus de Nicolas, de moi ou de Marie-Thérèse.
Cependant, à peine Marie-Thérèse eut-elle mis à net son
écuelle qu’elle se leva, me remercia gracieusement, et m’ayant fait la
révérence me dit :
— Monsieur le Comte, plaise à vous de me bailler mon
congé. Je vous fais encore un million de mercis et vous déclare que je ne
piperai mot à personne de ma visite céans, ne voulant pas que d’aucuns, hommes
ou femmes, vous importunent, comme je l’ai fait moi-même. Je n’abuserai pas non
plus de votre accueil du bon du cœur, et vous ne m’orrez plus toquer à votre
porte jusqu’à la fin du siège, à moins que vous me commandiez par votre gentil
Nicolas de vous apporter derechef céans un peu de mon herbe.
Là-dessus, elle me fit une deuxième révérence, et une autre
à Hörner, lequel parut l’aimer davantage après son petit discours tant adroit
que discret, pour ce qu’elle avait dissipé les craintes qu’il nourrissait de
voir s’installer chez nous une « bouche inutile ».
Dans la suite du siège, je m’informai de Marie-Thérèse quand
et quand auprès de Nicolas, et il me dit qu’elle allait aussi bien qu’il était
possible. Tant est que je le soupçonnai de lui bailler en tapinois un peu de
ses propres rations, tant il était d’elle raffolé, mais à mon sentiment,
c’était – chose étrange, vu son âge et le sien – un attachement plus
filial qu’amoureux. Mais quel béjaune n’eût aimé, en effet, bien qu’elle fût
fille, avoir une mère comme Marie-Thérèse, à la fois si douce et si
forte ?
*
* *
Cette visite de Marie-Thérèse, qui dura à peine une heure,
fut pour moi, pour Nicolas, et je crois bien aussi pour nos Suisses, un petit
paradis dans l’enfer étouffant de nos jours et le désommeillement aride de nos
nuits. Comme tout un chacun j’aspire, l’été venu, au soleil clair, au ciel
azuréen, à la douceur de l’air. Et meshui, comme tout un chacun céans, je les
maudissais, tant le bleu sans nuages du ciel nous paraissait cruel, le soleil
aveuglant, et l’air insufférablement séchereux.
Le beau temps continuant, Toiras avait été contraint de
réduire la ration d’eau et de doubler la nuit la garde des puits, car les
soldats maraudeurs ne se contentaient plus de graisser la main des
gardes – d’aucuns offrant jusqu’à deux ou trois écus pour un seul gobelet
d’eau : meshui, ils usaient
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