Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le Lys Et La Pourpre

Le Lys Et La Pourpre

Titel: Le Lys Et La Pourpre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
Vom Netzwerk:
qu’il accepta cette
indigne mesure et la mit à exécution, il ne peut qu’il n’en porte la responsabilité
devant l’Histoire.
    Comme je l’ai dit déjà, un certain nombre de catholiques de
Saint-Martin-de-Ré – le village le plus proche de notre citadelle –
s’étaient enrôlés sous la bannière de Toiras et l’avaient rejoint dès le début
de l’invasion. Les Anglais imaginèrent de rassembler les épouses, les mères et
les enfants de ces volontaires, de les chasser de leurs demeures de
Saint-Martin, et de les contraindre à pénétrer dans la citadelle à seule fin
d’y augmenter le nombre de « bouches inutiles ».
    Ces pauvres femmes qui n’entendaient pas les ordres qu’on
leur criait en anglais furent saisies de terreur quand elles virent qu’on les
poussait vers les tranchées qui entouraient la citadelle. D’aucunes tâchèrent
alors de fuir et de revenir à Saint-Martin. Les soldats anglais, sur l’ordre
qu’on leur donna, firent feu : des femmes et des enfants [86] tombèrent. Toiras, qui du haut de la
citadelle assistait à cette scène, n’osait pas tirer sur l’ennemi de peur
d’atteindre celles qu’il chassait devant lui. Il avait aussitôt entendu le sens
de cette manœuvre inhumaine, et il hésita de prime, mais saisi à la parfin de
pitié, il ouvrit ses portes aux malheureuses.
    D’aucunes retrouvèrent leurs maris avec joie – mais
sans autre perspective que de mourir de faim avec eux. Les plus à plaindre
furent celles dont les époux avaient été tués au combat de Sablanceaux :
elles ne trouvaient ni aide ni réconfort. Les mères qui portaient dans leurs
bras des enfants voyaient leur lait tarir, faute d’être elles-mêmes nourries à
suffisance.
    La cruauté dont elles avaient été l’objet était en fait pour
l’Anglais d’aucune utilité : elles n’étaient pas assez nombreuses pour que
leurs « bouches inutiles » augmentassent la famine, mais elles
donnèrent ce sentiment aux soldats. Ils les avaient plaintes de prime, mais
bientôt, ils ne supportèrent plus leurs pleurs, leurs plaintes, leurs
récriminations et la mendicité à laquelle elles étaient réduites. Ils se mirent
à les haïr, à les repousser, à leur adresser des paroles sales et fâcheuses,
voire même à les battre.
    Au rebours de ce que Toiras avait craint, il n’y eut pas de
forcement de filles, soit que les forces manquassent déjà aux soldats, soit que
la crainte de la mort fût plus forte que le désir. Mais je ne pus que je ne
m’aperçus que la présence mal acceptée des femmes abaissait beaucoup le moral
de la garnison et nuisait à sa discipline.
    Au début de leur séjour dans nos murs, quand l’une d’elles
se présentait sur le seuil de notre maison, on lui baillait quelque morceau,
mais quoique très à la rebelute, nous décidâmes de discontinuer cette
imprudente charité, tant nos vivres baissaient. Cependant, le bruit de notre
aide s’étant répandu parmi elles, elles se pressèrent toutes à notre porte.
Elles nous assiégeaient à grands cris et, dans leur déception de ne plus rien
recevoir, elles se mirent incontinent à nous haïr davantage que ceux qui ne
leur avaient jamais rien donné. Et de mendiantes devenues démones, elles
tombèrent alors dans des reproches, des injures et des fureurs qui ne peuvent
se dire. D’autres, cependant, assises le dos contre un mur, la tête basse et le
regard éteint, ne pipaient plus, ne bougeaient plus, et dans leur désespérance,
attendaient la mort comme si elles l’eussent désirée.
    Cependant, une semaine après que les femmes eurent cessé de
faire notre siège, l’une d’elles, par la plus nuiteuse des nuits, vint nous
voir très à la discrétion, toqua faiblement à notre huis et demanda l’entrant à
voix basse.
    — Qui êtes-vous ? demanda Hörner, fort malengroin.
    — Je m’appelle Marie-Thérèse Hennequin, Herr Hörner ,
dit la visiteuse d’une voix basse, mais bien articulée, et vous déclare sur mon
salut que je ne viens pas céans pour mendier.
    — Alors, que veux-tu ? dit Hörner, surpris qu’elle
connût son nom.
    — Je voudrais parler à Monsieur le comte d’Orbieu.
    — Êtes-vous seule ?
    — Je suis seule, Herr Hörner.
    Hörner m’ayant consulté du regard, je lui dis :
    — Donne-lui l’entrant, mais une patte en avant et
l’autre déjà sur le recul, au cas où il y aurait du monde derrière elle qui
voudrait faire irruption céans à sa

Weitere Kostenlose Bücher