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Le Lys Et La Pourpre

Le Lys Et La Pourpre

Titel: Le Lys Et La Pourpre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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intempéries.
    Chaleur et sécheresse persistant, le niveau de l’eau dans
les puits – et aussi dans notre tonneau – baissait inexorablement. De
prime, l’angoisse de la soif nous tenailla, et bientôt la soif elle-même, dès
lors que nous dûmes réduire nos rations de moitié.
    Nous avions encore du vin, mais nous le ménagions fort, ne
nous accordant qu’un demi-gobelet le soir avant de nous coucher afin de ne pas
nous mettre au lit la gorge sèche. J’ai quelque raison de me ramentevoir une
nuit où, m’étant endormi d’un sommeil intermittent et tracasseux, je fus
désommeillé par une noise insolite : on eût dit que notre toit était
becqueté par d’innombrables becs. Et qui n’aurait pas pensé alors aux nuées de
corbeaux qui, dès le commencement de la disette, étaient venus se percher lourdement
sur nos murs ? Ils ne s’en délogeaient qu’à peine pour éviter les pierres
que nous leur jetions, et sans vergogne allaient se percher plus loin, nous
épiant sans cesse de leurs yeux inhumains, et se mettant soudain à croasser
tous ensemble, comme s’ils réclamaient à grands cris notre mort afin de se
repaître de nos malheureux restes.
    Dans mon sommeil je maudis les sinistres oiseaux, mais le
becquement continuant, je me réveillai tout à fait et m’avisai tout soudain
avec émerveillement que les corbeaux n’étaient pour rien dans ces petits coups
de bec sur notre toit et qu’il ne pouvait s’agir que de pluie. Nu que j’étais,
et titubant, je courus à la fenêtre, je l’ouvris, je tendis la main dehors, la
retirai trempée, et me mis à hurler :
    — Hörner ! Hörner ! la pluie !
    Non seulement Hörner, mais tous les Suisses et Nicolas
accoururent comme ils étaient, nu-pieds et en chemise, et Hörner ouvrant
l’huis, ils se précipitèrent dehors, la tête rejetée en arrière et la bouche
largement déclose pour boire les torrents d’eau qui leur tombaient sus. À vrai
dire, plus d’un manqua s’étrangler à ce jeu, et ils crurent sage de rapetisser
un petit peu le goulot de leur bec.
    Notre soif apaisée, nous nous avisâmes avec un nouveau
bonheur que l’eau ruisselant sur notre toit atteignait docilement les
gouttières que Hörner avait disposées pour elle et tombait dans notre tonneau
si vite et avec une telle force, qu’à peine eûmes-nous le temps d’amener le
tonneau de secours et de le substituer au premier quand il fut plein. La pluie
se ralentit alors quelque peu et jusqu’à ce qu’elle cessât, nous retînmes notre
souffle, ayant tous un vœu au cœur : qu’elle remplît le deuxième tonneau à
ras bord avant de cesser. En fait, elle y faillit, mais de peu.
    Hörner, les Suisses et Nicolas, sans se concerter le
moindre, tombèrent alors d’un seul mouvement à genoux pour remercier le ciel de
cette manne, si j’ose employer ce mot pour désigner de l’eau. Et je demeurai
debout, n’ayant pas d’emblée établi un lien entre la pluie et la bienveillance
divine à notre égard. Mais quand je vis tous mes soldats à genoux, et moi
debout à côté d’eux comme un piquet, je sentis bien que je ne pouvais sans
messéance demeurer étranger à leur action de grâces, et pensant avec un peu
d’ironie que je devais suivre leur exemple puisque j’étais leur chef, je me
génuflexai à mon tour et je remerciai Dieu par mes prières, non que je fusse
certain qu’il eût précisément pensé à nous en déclenchant cet émerveillable
orage, mais bien persuadé que je lui devais de toute manière des remerciements
pour le seul fait de vivre.
    Par malheur, cette manne-là ne fut pas assez solide pour
conforter notre gaster, et bien que la soif fût apaisée à tout le moins pour
quelques jours – et Dieu sait comme nous aurions aimé que cet août se
signalât par un nouveau déluge ! – notre estomac n’en était pas moins
condamné à la portion congrue. Encore étions-nous favorisés puisqu’en vertu de
notre prévoyance, ce qui était pour nous pénible restriction était déjà disette
pour le reste de la garnison.
    My Lord Buckingham, qui par ses mouches savait et suivait
les progrès de notre famine, imagina de l’aggraver encore pour hâter la
reddition qu’il attendait. La mesure qui fut prise alors fut si détestable que
j’incline à penser qu’elle germa dans la cervelle de ses colonels –
endurcis par leur impiteux métier – plutôt que dans celle de My Lord
Buckingham. Par malheur pour sa mémoire, du fait même

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