Le Lys Et La Pourpre
suite.
Hörner appela d’un signe deux de ses Suisses et, une
lanterne à la main pour voir la visiteuse, entrebâilla la porte, les Suisses se
préparant à la rabattre violemment au cas où l’on tenterait de la forcer.
Une garce d’une vingtaine d’années apparut. Elle était
seule, comme elle avait dit, entra d’un pas assuré et se dirigeant vers moi qui
étais assis devant deux doigts de vin dans un gobelet, me fit une révérence qui
n’avait rien de gauche, et dit d’une voix ferme en bon français :
— Monsieur le Comte, je vous suis infiniment obligée de
me bien vouloir recevoir.
En approchant de la table, elle entra dans la lumière du
chandelier qui m’éclairait, et je pus l’examiner à loisir. C’était une forte
garce, bien plantée sur ses jambes, l’épaule solide, le tétin pommelant, la
face non dénuée d’une certaine beauté fruste et paysanne qui me ramentut la
nièce du curé Séraphin. Elle portait à la main une sorte de ballot et bien que son
cotillon fut assez poussiéreux – et comment ne l’eût-il pas été,
puisqu’elle dormait sur le pavé des remparts – je fus si étonné par la
propreté de ses mains et de son visage qu’avant même de m’enquérir du pourquoi
de sa visite, je lui demandai comment diantre elle faisait, en la pénurie d’eau
où nous étions, pour être tant nette qu’elle l’était.
— C’est que, Monsieur le Comte, tous les matins, à la
pique du jour, je descends dans le musoir pour pêcher.
— Vêtue ?
— Que nenni !
— Et que pêches-tu ?
— Ma fé, des coquillages, des crabes, des crevettes, et
si j’ai la main heureuse, des petits poissons.
— Et tu en trouves ?
— Très peu, mais ce peu ajoute à ma ration. Je les
mange crus.
— Pourquoi crus ?
— Pour les cuire, il faudrait les montrer à ceux de la
citadelle. Et ce serait risquer qu’on me les prenne.
Cette phrase me fit grand-peine tant elle montrait la
violence et la barbarie où la garnison était tombée.
— Et pourquoi pêcher à la pique du jour ?
— Parce qu’à cette heure il n’y a personne au musoir ,
et que je suis nue en ma natureté.
Il y eut après ce propos un silence, dont je ne doute pas
qu’il ne parlât prou à l’imagination de ceux qui étaient là.
— Et comment se fait-il, Marie-Thérèse, que tu saches
mon nom et celui du capitaine Hörner ?
— Je les ai demandés à votre joli écuyer. Il est très
avenant aux garces de céans. Et très aidant, aussi, à elles en leur malheur,
quand il le peut.
— Nicolas, dis-je, est-il vrai que tu es très aidant et
avenant aux garces de céans ?
— Oui, Monsieur le Comte.
— C’est donc que tu crois faire là ton devoir de
chrétien ?
— Oui, Monsieur le Comte, dit Nicolas sans battre un
cil.
Ce genre de petite gausserie entre Nicolas et moi laissait
Hörner de glace pour la raison qu’il avait une tournure d’esprit trop sérieuse
pour entendre ce badinage. Marie-Thérèse, en revanche, sourit. Outre sa
vaillance et son courage à vivre, elle ne faillait donc pas en finesse, comme
de reste la suite de cet entretien bien le montra.
— Marie-Thérèse, repris-je, as-tu un mari ou un père ou
un frère à la citadelle ?
— Nenni. Je suis fille, je n’ai plus de parents, et me
trouve être céans par erreur, ayant été arrêtée à Saint-Martin chez ma cousine
qui se nomme comme moi Hennequin, et qui a son mari céans. Mais comment faire
entendre aux Anglais leur erreur, vu qu’ils ne parlent pas ma parladure, ni moi
la leur ?
— Et de quoi vivais-tu à Saint-Martin, n’ayant plus de
parents ?
— De ma pêche, et de ma pêche ma cousine vivait aussi.
J’avais pris gîte chez elle à la mort de mon père.
— Du moins es-tu céans avec elle.
— Hélas, non, elle a été tuée d’une mousquetade sur le
chemin de la citadelle, étant de celles qui ont tenté de fuir.
Ayant dit, elle s’accoisa, une grosse larme coulant sur sa
joue qu’elle essuya du dos de la main. Je baissai l’œil sur mon gobelet, étant
si attendrézi par ses malheurs et son courage, que je crois bien que je lui
eusse alors donné du pain, si elle l’avait quis de moi. Mais la garce était
trop fiérotte et trop bien avisée pour se donner à elle-même le démenti, et
répondant à mes questions, elle me dit que sachant par Nicolas que nous avions
de la chair [87] , mais non des herbes,
elle m’apportait céans une herbe [88] ,
pourvu qu’on
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