Le Lys Et La Pourpre
de violence, jouant impiteusement du cotel
contre les malheureux, afin d’accéder au trésor qu’ils gardaient.
Toiras garnit les défenseurs des puits en pistolets qui, au
corps à corps, étaient plus maniables que des mousquets. Il y eut des morts
chez les assaillants, et sur eux les gardes faisaient des gausseries amères
dont l’arrière-goût me parut désespéré : « Eh bien ceux-là au moins,
disaient-ils, ils n’auront plus jamais soif ! »
La haute niche en bois qui en appentis à notre maison
enfermait Zeus et notre tonneau fut attaquée une nuit à la hache. Les abois
furieux de Zeus amenèrent Hörner et ses hommes en un battement de cils, et
Hörner passant son mousquet dans le créneau qu’il avait ménagé dans le mur,
menaça les assaillants de leur tirer sus, s’ils ne discontinuaient pas leurs
attaques. Pour toute réponse, ils firent feu sur lui, mais ne purent
l’atteindre, le créneau étant oblique. Hörner riposta, mais un seul mort ne
suffit pas à dissuader les assaillants, la hache passant aussitôt de mort à
vif. Il fallut les dépêcher tous, tant ils étaient acharnés, en leur brutal
courage, à atteindre notre eau. Le lendemain, à la pique du jour, l’huis
déclos, on les put compter : ils étaient six et ce n’étaient pas des
soldats, mais des maçons qui avaient été recrutés pour achever la citadelle et
qui n’avaient pu s’en retirer quand Toiras s’y enferma. Quant aux mousquets
dont ils étaient armés, ce n’était pas merveille : on en trouvait partout
dans le fort, tant de soldats mourant de verte faim.
Pris en cette cruelle géhenne de ne pouvoir ni boire ni se
nourrir, et ne la pouvant souffrir davantage, d’aucuns tâchèrent de s’évader.
Les désertions commencèrent, et point d’un ou deux, mais de cinq ou six à la
fois. Elles furent malheureuses, car ces pauvres gens échangèrent la peur de la
mort contre la mort elle-même : leurs camarades sur ordre tiraient sur eux
du haut des remparts, et s’ils en réchappaient, les Anglais les capturaient et
les mettaient à torture pour leur tirer des renseignements.
Il y eut une désertion infiniment plus grave et qui alla
jusqu’à mettre nos sûretés en péril. Une nuit, un caporal, qui avec six soldats
venait relever la garde d’une porte de la citadelle, trouva la porte ouverte
et, enfuis avec leur caporal, les camarades qu’ils venaient relever. On sut
plus tard que ledit caporal, qui savait le mot de passe, fut pris par les
Anglais et étant mis par eux aux tortures du fer et du feu, le leur révéla. My
Lord Buckingham opina qu’il fallait incontinent s’en servir pour s’infiltrer
dans la place, mais les colonels, au nom de leur grande expérience, s’y
opposèrent avec force : ce caporal, ce mot de passe, cette porte ouverte
n’étaient que chausse-trappe des renards français. Il fallait se garder d’y
fourrer le pied. « Comme quoi, dit Toiras quand il apprit l’affaire, la
guerre est un art si incertain que tout peut vous amener à commettre des
fautes – même l’expérience. »
— Monsieur le Comte, dit Nicolas, à quoi cela
servait-il aux Anglais d’avoir le mot de passe puisque les déserteurs avaient
laissé la porte déclose ?
— Pour se faire ouvrir une autre porte de la citadelle.
Il leur eût suffi de quelques uniformes des nôtres, et ils en possèdent
puisqu’ils ont des prisonniers et aussi un des leurs qui prononçât bien le
français, et ils étaient dans la place sans coup férir.
— Monsieur le Comte, ne pourrait-on pas trouver un mot
de passe différent pour chaque porte ?
— Vramy, Nicolas ! Le Seigneur, quand il façonna
ta cervelle, n’oublia pas une seule mérangeoise ! Tu devrais faire à
Monsieur de Toiras cette pertinente suggestion.
— Monsieur le Comte, dit Nicolas, fort effrayé. Un
conseil de ma part au gouverneur de la citadelle serait de la dernière
outrecuidance.
— Nenni ! Nenni ! Vu la fraîcheur de ton âge
et la modestie de ton rang, il y verra une naïveté qui par hasard est tombée
juste… Alors que le même avis, venant de moi, ne faillirait pas de le piquer.
Il serait prompt à y déceler quelque blâme. C’est décidé, Nicolas, et il n’y a
pas à y revenir : tu le lui diras !
Ce même jour, à la nuitée, Monsieur de Toiras vint chez moi,
comme à l’accoutumée, prendre deux doigts de mon vin rétais. Lecteur, tu as
bien ouï : deux doigts ! C’était la ration quotidienne que
Weitere Kostenlose Bücher