Le Lys Et La Pourpre
faisait pour la saison une froidure extrême, à se demander si le
printemps allait vraiment venir, ou l’hiver recommencer.
Dans le carrosse, avec les chaufferettes sous les pieds et
ce qu’il fallait de charbon de bois dans un coffre pour entretenir les braises,
la température n’était point si piquante mais, ma fé, je préférais ne pas
penser à mon cocher, ni à mes Suisses sur leurs chevaux. Ils devaient se geler
le nez dans l’aigre bise du matin.
La Barge maugréa à mi-voix qu’étant de bonne maison, il
n’avait pas à faire un travail de valet en garnissant les chaufferettes. Je
répondis d’un ton sans réplique que c’était bien vrai cela, qu’un écuyer était
un écuyer et que s’il le désirait, j’allais arrêter le coche et demander à un
de mes cavaliers de changer de place avec lui.
Là-dessus, Angélique ne fit pas mentir son nom et s’offrit
d’une voix douce pour assurer le remplissage des chaufferettes, mais je n’y
consentis point, arguant que son état excluait qu’elle se pliât en deux si
souvent et que, de reste, Monsieur de La Barge, gentilhomme de bon lieu, était
trop galant pour lui infliger cette peine. À quoi La Barge, rougissant jusqu’aux
oreilles, lesquelles étaient fort visibles, étant décollées de la tête, voulut
bien dire à Angélique qu’il préférerait se couper la main plutôt qu’elle fût
mise, par sa faute, à pareille incommodité.
Sur cette courtoise rhétorique, la paix se fit dans la carrosse,
dont le semblant de tiédeur me laissa sans trop de frissons m’absorber dans mes
pensées, permit à Angélique de somnoler, une fois qu’elle se fut dégagée de sa
capuche, et à La Barge de la contempler, béant d’admiration devant tant de
courbes. Il est vrai qu’à son âge, et même au mien, je trouvais et trouve
encore beaucoup d’attrait à une femme qui porte un enfantelet dans son sein,
étant ému à la fois par sa fécondité et par son abondance charnelle.
Sur le midi, je décidai d’arrêter le convoi à L’Écu d’or de Saint-Nom-la-Bretèche, lequel village était à trois bonnes heures encore de
Paris, afin que l’escorte et les escortés puissent profiter de cette étape pour
jeter de l’eau, bailler aux chevaux leur avoine et mordre à dents aiguës dans
le pain et le jambon que je commandai pour tous à l’aubergiste, en même temps
qu’une bassine de vin chaud. Dès que les chevaux furent nourris –
« les bêtes avant les hommes », disait à chaque fois, en hochant la
tête d’un air sage, le chef de mes Suisses – il y eut dans la grande salle
un joyeux ébrouement des soldats, lesquels tapaient des semelles de leurs
bottes sur les dalles pour les réchauffer et tendaient leurs doigts gourds au
feu flambant et crépitant dans un âtre assez grand pour cuire un bœuf. Je fis
asseoir Angélique un peu à part et La Barge à son côté et j’allai trinquer avec
mes Suisses qui portèrent de prime une tostée à ma santé, puis une seconde
tostée pour l’achèvement de mon châtelet d’entrée qui me serait, dirent-ils,
« à grand honneur » et « à grande utilité », dès que je
l’aurais fini. Cette courtoisie valait bien que je leur baillasse à mon tour
une troisième tostée pour remercier leurs bonnes épées de m’avoir escorté et
leurs bras robustes de m’avoir aidé au chargement de mes pierres taillées. Parmi
les qualités qui brillaient chez ces Suisses, je dois ajouter encore la
discrétion, car de tout le temps qu’on fut en cette auberge, aucun d’eux ne se
permit, même en tapinois, de jeter un œil à Angélique.
À mon advenue en Paris, le marquis de Siorac, compatissant,
certes, à tous, mais plus encore au gentil sesso, se ramentut qu’il
était médecin et désapprouva tout à trac mon projet d’aller reclure Angélique
en mon hôtel des Bourbons sous la surveillance de serviteurs ignares et
indifférents et m’offrit de la garder en la tiédeur de son logis, soignée par
ses gens et sous l’œil d’un disciple d’Hippocrate. J’en fus d’autant plus
content que je n’eusse jamais osé quérir de lui un tel service. Pour ne rien
celer, pendant tout le temps de ce long voyage de Montfort à Paris, je m’étais
fait un sang d’encre à la pensée que les mille secousses du carrosse par des
chemins cahoteux pussent amener la pauvre Angélique à perdre son fruit.
Dès que Mariette, après nous avoir servi le rôt du souper,
eut quitté la place en
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