Le Lys Et La Pourpre
pour m’avoir tirée de
l’eau.
Hans baissa les yeux et ne répondit pas tout de gob, étant
troublé par cette gorge opulente et ne sachant pas, comme il me le dit plus
tard, s’il devait appeler la pauvrette « Angélique », ou
« Mademoiselle », ou même « Madame », puisqu’elle était
enceinte.
— Fräulein, dit-il enfin, les yeux toujours
baissés, ce que j’en ai fait, c’était pour vous obliger.
Là-dessus, Louison mit la main devant sa bouche, et la
sachant si prompte à passer de l’ire au rire, je lui jetai un regard qui la
réprima et dis à Hans de se retirer, ajoutant que j’étais très content de lui
et que je lui en ferais connaître sous peu les effets.
— Angélique, repris-je doucement, ton seul devoir
meshui est de vivre et de mener à terme ta grossesse. Ne t’inquiète de rien
d’autre. Monsieur le curé Séraphin me doit visiter ce matin et je verrai avec
lui comment arranger les choses pour que rien dans cette affaire ne transpire
qui puisse gâter son bon renom.
Là-dessus, je dis « au revoir » à Angélique, non
sans qu’elle me prît la main et la baisât avec ferveur comme elle l’eût fait de
celle d’un saint (que certes je ne suis pas, à en juger par les pensées qui me
traversaient l’esprit), néanmoins son geste me plut au moins autant qu’il
déplut à Louison. Je ne fus guère long à m’en apercevoir.
— Monsieur le Comte, dit-elle, tandis qu’elle cheminait
à mes côtés dans le couloir qui menait à ma librairie, je vous avoue que je
suis béante !
— Béante de quoi ? dis-je rudement, pressentant
qu’un orage approchait et espérant encore le détourner de moi.
— Mais de vous voir agir de façon si douce et si
connivente avec ce bouc paillard et cette grosse truie ! Pour moi, je les
eusse chassés sur l’heure d’Orbieu, et je les aurais vus partir avec leurs petits
baluchons sur les grands chemins de France sans larme ni soupir !
— Bravo, Louison ! Bravo ! Le curé Séraphin
n’est plus un homme : c’est un bouc ! Et Angélique n’est plus une
femme, c’est une truie ! Une grosse truie, pour faire bonne mesure. Et bien
qu’à ma connaissance bouc et truie ne s’accouplent jamais, les voilà tous les
deux qui se vautrent dans la fange et sont ensuite par moi chassés sur ton
conseil, courant les grands chemins du royaume avec leurs petits baluchons sur
le dos ! Mais, sage Louison, puisqu’aujourd’hui, tu incarnes la justice
divine, n’hésite pas ! Va plus loin encore dans la rigueur ! Attache
bouc et truie à un piquet sur la place de l’église, rassemble nos manants et
que tous et un chacun leur lancent la pierre et les lapident à mort !
Comme ce serait beau ! Comme ce serait évangélique !
— Monsieur le Comte, dit Louison, les larmes aux yeux
de cette algarade, je n’ai pas voulu dire cela ! J’ai parlé à la
volée ! Et pour dire le vrai, Monsieur le Comte, vos yeux se sont attardés
un peu longtemps sur les tétins de la drolette.
— Le moyen de ne pas les voir, puisqu’ils étaient là,
tout à découvert !
— Et croyez-vous que cette Sainte Nitouche n’était pas
contente de sentir sur eux vos regards ?
— Ah ! Sainte Nitouche ! dis-je, enfin un
petit progrès ! « Sainte Nitouche », assurément c’est mieux que
« grosse truie ». Allons, Louison, encore un petit effort d’humanité.
Ne pourrais-tu pas dire « pauvrette » sans t’écorcher la
langue ?
— Monsieur le Comte, dit Louison d’un ton plaintif, mais
éludant ma demande avec dextérité, plaise à vous de ne pas oublier que j’ai
soigné votre Angélique du bon du cœur, et qu’elle n’est vivante que par mes
soins.
— Tu n’as pas soigné « mon » Angélique,
Louison. Tu as soigné une garcelette tombée dans le malheur et cette bonne
action, la Dieu merci, a démenti à l’avance ton méchant propos. Je vais donc
jeter tes paroles sales et fâcheuses dans la gibecière de mes oublis et te
demander, Louison, sous peine de me fâcher beaucoup, de rogner à l’avenir les griffes
de ta jalousie.
— Je le ferai, Monsieur le Comte, dit-elle, douce et
soumise.
Douceur et soumission qui m’eussent enchanté, si je n’avais
pas su qu’elles seraient aussi éphémères que cette sorte de mouche qui naît le
matin et meurt avant la nuit. Mais de moi-même non plus je n’étais pas, pour
dire le vrai, tout à plein content. N’étais-je pas un grand chattemite que
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