Le Lys Et La Pourpre
emportant loin de nous ses trop fines oreilles, je
révélai au marquis de Siorac qui était le père de l’enfantelet. Là-dessus, le
marquis et La Surie, huguenots convertis et catholiques tièdes, échangèrent des
regards, et mon père, quoique sur un ton modéré, fit quelques critiques sur le
célibat imposé aux prêtres, lequel, disait-il, les retirait par trop de la
commune humanité, les faisait mauvais juges des faiblesses du cœur, et le plus
souvent censeurs implacables et démesurés des péchés de chair qui n’étaient
point, il s’en fallait, plus graves et damnables que l’injustice, l’oppression
ou la cruauté. De ce fait, concluait-il, notre morale qui est théologique, au
lieu d’être comme chez les Anciens Grecs, philosophique et fondée en raison, se
trouve mal équilibrée, accordant trop d’importance à la chair, et pas assez à
nos conduites envers nos semblables. Je ne pipai mot à ces remarques, mais
pensai en mon for qu’en cela, les ministres huguenots, bien que mariés,
n’étaient guère différents des catholiques.
Je me rendis le lendemain au lever du roi. Bien qu’il y eût
presse, je suis bien sûr qu’il me vit, car rien ne lui échappait, mais il ne me
fit aucun signe et ne m’adressa pas la parole, pas plus du reste qu’à aucun des
seigneurs qui se trouvaient là. Son visage était pâle, crispé et je vis bien
que Louis était dans ses humeurs les plus noires, quoiqu’il s’efforçât de
garder une face imperscrutable. Il repoussa rudement le docteur Héroard qui
voulait lui prendre le pouls en disant : « Quoi qu’on en ait, je me
porte à merveille ! »
Ce « quoi qu’on en ait » me laissa béant. Je le
fus davantage quand la foule des courtisans s’étant écoulée, Louis ne garda
avec lui que Berlinghen, Soupite, le capitaine aux gardes Du Hallier (que le
lecteur connaît déjà pour m’avoir prêté un carrosse du roi), le marquis de
Chalais, grand-maître de la garde-robe et moi-même. On lui apporta son déjeuner
qu’il chipota plutôt qu’il ne mangea, s’interrompant à plusieurs reprises pour
taper de son couteau des coups rageurs sur son assiette et son gobelet
d’argent, comme s’il eût voulu exterminer sa vaisselle pour crime de
lèse-majesté. Bien qu’il avalât ses viandes du bout des lèvres entrecoupant sa
repue par les coups que j’ai dits, tantôt par la tranche et tantôt par le plat
du couteau, il finit par venir à bout de son déjeuner et, se levant, se mit à
marcher furieusement dans la chambre, les mains derrière le dos, la tête
baissée, et se mordant les lèvres, tant est que ceux qui étaient là, effrayés
par une humeur aussi escalabreuse, n’osaient ni bouger ni piper.
Je ne sais combien eût duré cette marche pendulaire, si elle
n’avait été interrompue par un tintamarre de voix furieuses provenant de
l’antichambre.
— Qu’est cela ? Qu’est cela ? s’écria le roi,
en portant la main à son flanc gauche comme s’il y cherchait la poignée de son
épée. Qui ose faire des querelles quasiment à ma porte ? Berlinghen, allez
voir la raison de cette noise !
Berlinghen eut bien garde, cette fois, de montrer cette
nonchalance que Louis lui avait tant de fois reprochée. Il courut à l’huis,
l’ouvrit et le referma derrière lui. La clameur redoubla, et bientôt,
Berlinghen réapparut, effaré.
— Sire, dit-il, c’est le comte de Guiche qui chante
pouilles à l’huissier.
— Et pourquoi ?
— Parce que l’huissier lui défend l’entrant de votre
chambre.
— En effet. C’est mon ordre.
— Mais, Sire, le comte de Guiche prétend que cet ordre
ne s’applique pas à lui, vu qu’il est premier gentilhomme de la chambre.
— Qu’est cela ? Cet office ne lui donne pas le
droit d’entrer chez moi quand il veut ! Pas plus à lui qu’au comte
d’Orbieu qui exerce la même charge.
— Sire, je me suis permis de le lui dire. Mais pour
toute réponse, Sire, Monsieur le comte de Guiche m’a menacé de me bailler un
grand coup de botte de par le cul.
— Qu’est cela ? dit le roi, la crête haute et
l’œil étincelant. On gourmande mon huissier ! On menace mon valet de
chambre ! Monsieur du Hallier, allez de ce pas arrêter Monsieur le comte
de Guiche et menez-le à la Bastille.
— À la Bastille, Sire ? dit le capitaine des
gardes, étonné de la disproportion entre l’offense et la sanction.
— Vous m’avez ouï ! Nous voulons que le comte de
Guiche
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