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Le Lys Et La Pourpre

Le Lys Et La Pourpre

Titel: Le Lys Et La Pourpre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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de
reprocher à Louison sa jalousie alors que de retour en Paris, j’allais, si j’en
croyais mes rêves, lui donner quelque raison de l’éprouver ?
     
    *
    * *
     
    Si bien s’en ramentoit le lecteur, le curé Séraphin était un
robuste ribaud, la membrature carrée, le nez fort, la lèvre charnue, le teint
vermeil ; mais ce matin-là, quand La Barge l’introduisit dans ma
librairie, je crus voir que sous ce teint vermeil – dû au bon vin autant
qu’au bon air du plat pays – se dissimulait une sorte de pâleur, tant
cette entrevue le mettait mal à l’aise, quelque effort qu’il fît pour le
dissimuler. Aussi commandai-je à La Barge de prier Louison de nous garnir d’un
flacon de notre vin de Bourgogne, à la fois pour redonner un peu d’aplomb à mon
visiteur et pour lui témoigner par cette attention (comme j’avais déjà fait en
lui dépêchant mon carrosse) que mon intention n’était pas d’appeler sur lui
l’ire de son évêque ou le déprisement de ses paroissiens, mais bien au rebours,
de chercher, de concert avec lui, un accommodement au tracassement qui le
poignait, lequel, à bien voir, était aussi le mien. Car je ne voulais pour rien
au monde trouble ou scandale en mon petit royaume, Séraphin étant, malgré ses
humaines faiblesses, un bon curé, et son église, un des piliers de mon pouvoir.
Et comment pouvait-on toucher à l’un sans nuire à l’autre ?
    Avant que de parler, j’attendis que Louison eût apporté le
bourgogne et surtout que Séraphin eût vidé son verre, ce qu’il fit, je m’en
souviens, avec l’avidité d’un homme dont l’émeuvement a asséché la gorge. Et en
effet, dès qu’il eut bu, Séraphin me parut retrouver son assiette et se
rebiscouler.
    — Monsieur le Curé, dis-je, cette affaire est si pleine
d’épines et d’écornes qu’il faut, pour le bien de tous, la traiter avec une
extrême délicatesse. Voyons les faits, si vous le voulez bien. Nous verrons
ensuite les remèdes. Hier soir, à la nuitée, Hans a retiré votre nièce de
l’étang où elle allait se noyant et après qu’elle lui eut dit qu’elle ne
voulait pas retourner au presbytère, il l’a amenée céans par une porte dérobée
et Louison la prenant en mains, l’a logée dans une chambre de l’aile gauche,
l’a déshabillée pour la sécher et s’est aperçue alors qu’elle était grosse.
    — Monsieur le Comte, dit le curé Séraphin en devenant
cramoisi, je peux vous assurer…
    — De grâce, Monsieur le Curé, dis-je en l’interrompant,
ne m’assurez de rien ! Je ne vous fais céans aucun reproche dont vous puissiez
avoir à vous disculper. Et par voie de conséquence, je n’accepterai de vous ni
dénégation, ni confidence. Je suis votre paroissien et fort respectueux de
l’Église que vous représentez. Je trouverais très disconvenable que mon curé se
confessât à moi.
    — Monsieur le Comte, dit Séraphin, après avoir pesé en
silence ce qu’il y avait à la fois d’inquiétant et de rassurant dans mon
propos, peux-je cependant faire une remarque ?
    — Faites, je vous prie, Monsieur le Curé.
    — Croyez bien, Monsieur le Comte, que si j’avais pu
deviner le terrible projet de ma nièce, je m’y serais opposé de toutes mes
forces et par tous les moyens, si grande est la détestation et l’horreur de
notre Sainte Église pour le suicide, acte sacrilégieux par lequel une créature
de Dieu détruit de ses propres mains le don que le Seigneur lui a fait,
véritable crime de lèse-majesté divine, susceptible, comme vous savez,
d’entraîner un procès fait au cadavre, procès qui débouche non seulement sur
des mutilations ou des marques d’infamie que je ne veux même pas évoquer, mais
surtout sur le refus de toute sépulture en terre chrétienne, refus qui entraîne
les plus terribles conséquences au moment de la résurrection des corps. En
vérité, le suicide, et en particulier un suicide en état de grossesse, est
autrement grave, mortel et peccamineux qu’une grossesse hors mariage.
    Je tiquai fort à ce prêche-là, car il me sembla que par lui
le bonhomme, s’appuyant sur la philosophie de l’Église, tirait de façon trop
prompte et trop pharisaïque son épingle du jeu, effaçant derrière un degré plus
grave dans la faute sa propre responsabilité. Je ne changeai pas pour autant ma
stratégie d’apaisement à son égard, mais je décidai de lui faire sentir en
passant d’une main légère que j’eusse voulu que sa

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