Le Maitre Philippe
soir, après un dîner de gala, à Waldeck-Rousseau, alors
président du Conseil des Ministres, s’il ne lui serait pas possible de faire
délivrer un diplôme de docteur en médecine au « savant » Philippe. Waldeck
demeura un instant interloqué ; il ne s’attendait pas à une pareille
demande ! Il dut expliquer à la Tsarine qu’il n’était pas en son pouvoir d’accorder
la faveur qu’elle lui demandait, le diplôme de docteur en médecine ne s’obtenant,
en France, qu’après avoir fait des études spéciales et passé avec succès de
difficiles examens.
« Peut-être , dit la Tsarine, M. le Président
de la République le pourrait-il ? »
Waldeck-Rousseau apprit alors à l’Impératrice que, dans cet
ordre d’idées, M. Loubet lui-même ne pouvait absolument rien. Seul, un
comité de grands médecins pouvait, après examen, conférer le titre de docteur
en médecine.
« M. Philippe est cependant un très grand médecin, » répliqua la Tsarine. Et elle quitta Waldeck assez dépitée…
*
* *
La faveur du Maître fut un instant éclipsée à la suite d’une
campagne acharnée menée contre lui par les partis avancés de l’opposition et
par le journal Osvobojdewe : « Le fait est indéniable, pouvait-on
lire dans ce journal : Nicolas, pour les choses concernant sa famille, comme
pour celles concernant la politique étrangère et l’administration intérieure ne
prend aucune décision sans avoir, au préalable, consulté le sieur Philippe !
Que penser d’un régime confiant sans contrôle les destinées de la Russie au
premier charlatan venu ! »
Le Maître payait sa célébrité. Des rapports secrets étaient
adressés contre lui à Nicolas II, soit de Russie, soit de France. Le chef
de la police russe à Paris, Ratchkowski, s’était particulièrement acharné à
cette besogne. Il avait envoyé au Tsar un dossier très chargé contre lui. Le
policier russe ne l’accusait rien moins que de séquestration, d’abus de
confiance, etc. Dès réception du dossier, l’Empereur avait fait appeler le
thaumaturge et l’avait prié de prendre connaissance des pièces qui y étaient
contenues. La chose faite, le Maître avait haussé les épaules et répondu :
« Sire, si Votre Majesté a le moindre doute, je garde le dossier, le
remets entre les mains de la justice et demande la preuve de tout ce qui s’y
trouve contenu. » Le Tsar, avait répondu en souriant : « Que
voulez-vous ! C’est de la méchanceté ! Si j’en avais cru un mot, je
ne vous l’aurais pas montré ! »
Devant ces attaques réitérées, le Maître jugea néanmoins prudent
de rentrer en France. Il revint comblé de cadeaux, mais toujours poursuivi par
la haine du policier russe.
Il resta à Lyon plusieurs mois, tout en étant en relation avec
le Tsar et les personnages de la Cour, avec lesquels il échangeait une
correspondance suivie. Chaque jour, son courrier lui apportait les suppliques
de malades princiers, de grands personnages en péril. Le Maître soignait à
distance, donnait des conseils aux uns et aux autres.
Rentré à Lyon, où il croyait échapper à la persécution, aux
basses jalousies, aux calomnies, voici que certains journaux parisiens imitant
leurs confrères slaves, répandaient sur son compte des bruits tendancieux ;
puis des menaces, des manœuvres policières vinrent l’assiéger jusque dans l’intimité
de son foyer. Des hommes suspects rôdaient autour de son hôtel, notant les
personnes qui le venaient visiter ; il était suivi dans tous ses déplacements ;
son courrier était décacheté ; ses télégrammes – et ils étaient nombreux –
étaient communiqués à l’autorité administrative. J’ai su par M. Joseph
Schewœbel, qui fut chef de bureau du cabinet du Préfet du Rhône, que les
messages chiffrés succédaient aux messages chiffrés. Pendant plusieurs mois, le
service du chiffre fut sur les dents. Il ne se passait pas de jours sans que de
longs télégrammes mystérieux fussent adressés de Russie au Maître Philippe. Et
il fallait les déchiffrer de toute urgence, car l’impatience de la Cour de
Russie n’admettait aucun retard !…
Le Maître partageait son temps entre sa volumineuse
correspondance, ses nombreux malades, et le laboratoire secret qu’il avait
installé au n° 6 de la rue du Bœuf, où il préparait des remèdes
hermétiques, et notamment les extraordinaires « pilules de
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