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Le Manuscrit de Grenade

Le Manuscrit de Grenade

Titel: Le Manuscrit de Grenade Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marianne Leconte
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bouclés, ses yeux sombres trahissaient ses origines mauresques. Seul le petit bouc à l’espagnole prouvait qu’il était du bon côté. Le grand-père d’Isabeau l’avait recueilli à l’âge de sept ans dans les ruines fumantes d’un village ennemi. Il l’avait ramené au château et l’avait fait baptiser. Entraîné dès son enfance au métier des armes, il avait été soldat, puis récompensé pour sa bravoure et sa fidélité en devenant le maître d’armes de la famille. C’était un homme fier et taciturne qu’elle appréciait ; un sentiment de honte rosit ses joues. Elle l’avait oublié.
    Gênée par son regard franc, où elle pouvait lire de la pitié, mais aussi de l’amitié, Isabeau répondit :
    — Pas question.
    — J’ai entendu Son Excellence. Vous êtes prisonnière. Je dois aller dans la Juderia prévenir la fille de dame Tchalaï. Sa vie est en danger.
    Indécise, l’adolescente examina le visage marqué par une existence passée sur les champs de bataille à semer mort et désolation parmi les musulmans. Plus d’une fois, après une séance d’entraînement, elle avait failli lui poser des questions. Ressentait-il parfois des remords ? Mais elle avait toujours reculé, par peur de l’embarrasser ou de réveiller des douleurs secrètes. Le Maure était un homme ombrageux mais surprenant. Isabeau se sentait plus proche de lui que des autres membres de sa famille, doña Maria exceptée.
     
    Un jour d’automne sombre et venteux. Quelques jeunes recrues s’entraînent au maniement des armes dans la cour du château. Cachée derrière un pan de mur, une petite fille regarde les combats avec avidité. Comme tous les jours, elle enregistre les passes, les conseils, les reproches, pour ensuite répéter seule dans sa chambre les gestes des combattants. Sans doute à cause de sa taille et de sa minceur, elle s’est choisie une arme à sa mesure, une dague, fictive bien sûr, mais qu’elle sent bien réelle dans sa main. Et puis un soir, elle n’y tient plus et vole la sienne à un jeune garçon de son âge. Ivre de joie, elle se cache dans une réserve pour utiliser son nouveau jouet. Mais très vite, elle perd pied. Sa colère, sa haine, son chagrin la transforment en furie et elle s’acharne sur des sacs d’orge, de blé, d’avoine. Pour punir son père et sa mère de l’avoir abandonnée, pour se venger de ne plus être une fille sans pouvoir être un garçon, pour châtier son oncle d’avoir élu domicile dans la chambre de ses parents après lui avoir ravi son domaine et son titre. Une main dure se pose sur son épaule droite et la broie. Aveuglée par sa rage, elle réagit au quart de tour et sans se retourner tourne sa dague vers le bas-ventre de l’arrivant et frappe. Ou plutôt tente de le toucher, mais l’intrus, d’un coup sec sur le poignet, fait tomber sa lame. Elle pivote aussitôt sur elle-même et plante ses dents dans la main qui vient de la frapper. La main du maître d’armes qu’elle admire tous les jours et dont elle ne rate jamais une leçon. Dégrisée, elle desserre sa mâchoire, masse d’un air penaud son poignet endolori, incapable de s’expliquer. Elle aimerait s’excuser, mais sent que ses paroles ne lui rendront pas justice. Ses griefs sont fondés et n’ont pas disparu. Alors elle se tait et le regarde fixement dans les yeux.
    — Tu te bats comme un manant. Je pensais que tu aurais mieux profité des leçons que tu m’as volées. Demain matin, dix heures, dans la salle de garde. Peut-être pourrais-je faire de toi un bon combattant. Si tu t’accroches.
     
    Après cette scène, Pedro l’avait aidée à surmonter son chagrin et à canaliser ses émotions en lui apprenant le maniement des armes. Un maître exigeant, peu loquace, mais qui avait su gagner sa confiance.
    Devait-elle lui communiquer le secret de Tchalaï ? Pedro avait juré fidélité aux seigneurs de Jerez, dont son oncle était le représentant officiel. Pour gagner du temps, elle demanda :
    — Pourquoi un bon catholique désobéirait-il à l’Inquisition ? Vous risquez votre vie en m’aidant.
    — Par amitié et fidélité à votre maison.
    Devant l’expression dubitative de son interlocutrice, Pedro soupira. Baissant instinctivement la voix, il murmura :
    — Je suis né à Grenade dans une famille musulmane. Votre aïeul m’a sauvé la vie et je l’ai servi avec respect, mais ses deux descendantes sont mortes et vous allez partir… Rien ne me

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