Le Maréchal Berthier
chargé d'escorter un convoi jusqu'à la Martinique. Ils pensaient avec raison qu'aux Antilles, ils trouveraient facilement un navire qui les emmènerait jusqu'à Rhode Island où l'armée avait débarqué. Au cours de la traversée, ils durent subir l'épreuve du baptême de la ligne et s'y prêtèrent avec d'autant plus de bonne grâce que, passagers de marque, ce fut pour eux une formalité, car ils se montrèrent généreux avec la cagnotte du père Neptune. Ce fut tout juste si on leur trempa le bout des doigts dans le baquet !
Après 41 jours de voyage, ils touchèrent Saint-Pierre et y débarquèrent. Mais Charles, fiévreux, dut s'aliter et son aîné consacra le plus clair de son temps à le soigner. Aussi fréquenta-t-il peu la société locale dont les moeurs plutôt dépravées le choquèrent. Il y avait, à cette époque, du puritain en lui. Il avait déjà eu quelques aventures amoureuses mais ces passades sans lendemains ne l'avaient guère marqué.
Ils se penchèrent avec curiosité sur le sort des esclaves nègres, s'indignant de la cruauté des traitements réservés à ceux qui tentaient de s'enfuir ou de se rebeller, mais étant bien obligés de constater que le sort des autres était en somme enviable, car écrit Alexandre dans son journal : « Ils sont plus heureux que la plupart de nos paysans qui, malgré leurs travaux, manquent souvent de pain. »
Leur intention n'était pas de s'éterniser à la Martinique et Charles se rétablissait. Aussi, lorsqu'ils apprirent qu'une frégate allait quitter Fort Royal (Fort-de-France) pour se rendre en Nouvelle-Angleterre, décidèrent-ils d'y prendre place. On leur conseilla d'effectuer le déplacement par mer. Ils louèrent donc une pirogue, mais une tempête s'étant levée pendant le trajet, ils manquèrent de chavirer, de se noyer et les piroguiers furent contraints de pagayer pendant 14 heures sans interruption. Lorsqu'ils atteignirent Fort Royal, Charles était de nouveau malade et Alexandre fut obligé de le faire hospitaliser jusqu'au moment où leur navire la Gentille appareilla. Après une escale à Saint-Domingue où ils furent horrifiés par la licence des moeurs et la malhonnêteté des marchands, ils arrivèrent enfin à Newport le 28 septembre 1780. Leur voyage avait été plein d'incidents.
Rochambeau et Saint-Maisme leur réservèrent le meilleur accueil, mais eux qui avaient espéré en découdre avec les Anglais furent déçus. La situation militaire était en quelque sorte gelée. Rochambeau, qui s'était retranché entre Newport et Rhode Island, hésitait à en bouger, car en demeurant sur place il servait de point d'appui à l'escadre française mouillée devant ce port. Washington cantonné à ce moment à West Point demeurait tout aussi immobile, et l'Anglais Clinton occupant New York entre ses deux adversaires n'était pas davantage disposé à passer à l'attaque avant d'avoir reçu des renforts, essentiellement l'armée de Cornwallis, pour l'heure en Virginie.
Cette « drôle de guerre » allait durer huit mois. Les officiers français essayaient d'occuper leur temps le plus agréablement possible et entretenaient d'aimables relations avec une population qui, au départ, les avait accueillis plutôt fraîchement. Ce fut durant cette période d'inaction qu'Alexandre fit la connaissance du capitaine Mathieu Dumas, et ce fut le début d'une longue et inaltérable amitié car ces deux officiers s'estimaient beaucoup. Mais les frères Berthier pensèrent qu'ils avaient mieux à faire et ayant constaté que la carte de Rhode Island dont disposait leur général en chef était imprécise et incomplète, ils décidèrent d'en dresser une autre. Ce travail pour lequel ils mirent à contribution les soldats de leur régiment leur prit trois mois. Rochambeau la trouva tellement magistrale qu'il leur ordonna d'en faire une copie destinée au roi.
Pour les récompenser, il releva Alexandre de son poste, le promut aide maréchal général des logis et l'affecta automatiquement à l'état-major de l'armée. Charles, pour sa part, devint aide de camp de son colonel. En février 1781, les frères reçurent des nouvelles de France et apprirent que leur père avait obtenu du roi, en octobre précédent, que leur soit accordée la survivance du gouvernement des hôtels de la guerre, de la marine et des affaires étrangères. Par cette démarche, Jean-Baptiste pensait assurer l'avenir de ses enfants. Il n'aurait guère imaginé que dix ans
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