Le Maréchal Suchet
réconciliation, davantage de façade que profonde, n’intervint entre les deux frères qu’après la naissance du troisième enfant du maréchal, une fille, en 1820.
L’année 1818 avait vu une nouvelle réorganisation de l’armée française suivant les principes prônés par Gouvion-Saint-Cyr. Mais Suchet ne prit aucune part aux travaux préparatoires et ne fut consulté en rien à ce sujet. Cette même année, il décida de déménager à Paris, non pas que son hôtel de la rue de La-Ville-l’Évêque fût trop petit, mais le duc trouvait qu’il manquait d’espace et de verdure car il était de plus en plus attaché à la vie campagnarde. Il acheta donc la résidence de l’amiral Decrès, rue du Faubourg Saint-Honoré, dont les bâtiments avaient à peu près la même surface que les siens mais qui avait un jardin plus grand « et si bien dessiné qu’il donnait une impression de vastitude ». L’amiral Decrès était, depuis 1813, le beau-frère du maréchal, car il avait épousé la veuve du général Saligny, duc de San Germiano, qui était la véritable propriétaire de cet hôtel. Ce qu’il y a de piquant dans cette union, c’est que la générale Saligny était la propre sœur d’Honor Suchet. C’était même elle qui avait tenté de la dissuader d’épouser Louis-Gabriel en raison de leur différence d’âge. Or, si son premier mari était déjà notoirement plus âgé qu’elle, le second, l’amiral, avait onze ans de plus que le premier ! Decrès devait d’ailleurs disparaître l’année suivante, victime des suites d’une tentative d’assassinat perpétrée contre lui par son valet de chambre, ancien matelot de Trafalgar, fidèle de l’amiral Villeneuve, persuadé que Decrès était en partie responsable du suicide de ce dernier et qui avait placé une bombe sous son lit.
Les Suchet, qui menaient déjà une vie très mondaine, fréquentant indistinctement l’ancienne noblesse aussi bien que celle d’Empire, se mirent à recevoir beaucoup dans leur nouvelle demeure. Étant très officiellement reconnu comme maréchal de France, Suchet se remit à aller souvent à la cour en compagnie de sa femme. Au demeurant, les propos venimeux des épouses d’émigrés avaient cessé ou au moins ne s’exprimaient plus à haute voix. En se comportant ainsi, le duc d’Albufera ne faisait que suivre les conseils du duc de Wellington qu’il continua à visiter assidûment jusqu’à son départ de France en octobre 1818. C’était l’époque où sous l’influence de Decazes le roi avait écarté son frère et estimait que les ultraroyalistes étaient des fous dangereux. Fort habilement, Suchet suivit le comportement du roi mais se rapprocha encore du duc d’Angoulême. Celui-ci au fond plutôt modéré montrait ouvertement qu’il adoptait les opinions de son oncle au point que certains voyaient en lui le futur souverain plutôt que son père. L’année 1819 allait voir en quelque sorte une consécration. Le roi créa toute une fournée de cinquante-neuf pairs qui comprenait sept maréchaux tous radiés en 1815 et nombre de généraux ainsi que plusieurs préfets. Suchet en faisait partie ainsi que Davout enfin rentré en grâce.
Le duc d’Albufera, s’il siégea régulièrement dans la haute assemblée, y prit au départ assez rarement la parole. Il faisait partie de cette opposition modérée critiquant poliment les gouvernements et toute prête à les soutenir en cas de crise aiguë. Très vite, Suchet s’intéressa puis se passionna pour un problème très particulier assez éloigné de ses préoccupations habituelles. Une ordonnance de 1819 avait créé une société pour l’amélioration des prisons qui en avaient grand besoin, n’ayant pratiquement pas été entretenues depuis 1789. Elle était présidée par le duc d’Angoulême qui vit avec plaisir son cher Suchet se porter volontaire, en tant que membre de la haute assemblée, pour faire partie du conseil d’administration de vingt-quatre membres dont onze pairs.
Ces fonctions n’étaient pas purement décoratives et Suchet eut pour mission d’inspecter les prisons militaires de l’Abbaye et de Montaigu. Dès sa première visite qui eut lieu très vite après sa nomination, Suchet fut frappé par le surpeuplement des locaux, le manque d’hygiène, les conditions déplorables où croupissaient prévenus et condamnés couverts de vermine, la nourriture infecte. Il déplora aussi le fait que les hommes demeurent
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