Le Maréchal Suchet
qu’à signer les documents. Ce détail amusa beaucoup le roi et la duchesse ne leur en tint pas rigueur car, par la suite, elle invita à de nombreuses reprises Suchet à dîner. La naissance de son fils, le duc de Bordeaux, « l’enfant du miracle », plus tard comte de Chambord, que seule une suite de malentendus empêcha de monter sur le trône, rendit encore plus odieux le crime de Louvel qui affirmait n’avoir agi que pour voir s’éteindre la race des Bourbons.
Mais s’il continuait à rechercher la faveur et l’amitié des membres de la famille royale, Suchet restait dans le même temps en excellents termes avec le duc d’Orléans, cousin du roi, qui était discrètement dans l’opposition à la dynastie, « poussant ses pions en avant » et cherchant lui aussi à s’assurer des complicités pour le jour improbable où il pourrait être appelé à prendre place sur le trône. Fidèle à une politique qui avait toujours été la sienne, Suchet maintenait plusieurs fers au feu.
Le maréchal continuait à siéger de manière régulière à la chambre haute mais ses interventions demeuraient rares et se cantonnaient exclusivement à des questions strictement militaires. Ainsi, en mars 1823, prit-il la parole sur un projet de loi relatif à l’organisation du service de renseignements et du contre-espionnage. Il devait un peu plus tard demander la rédaction d’un code de justice militaire.
Il avait, semble-t-il, espéré la même année que son ami le duc d’Angoulême ferait appel à lui lorsqu’il fut prié de prendre le commandement de l’armée qui allait partir délivrer Ferdinand VII, prisonnier de ses sujets constitutionnels qui avaient combattu en sa faveur sous Napoléon et que, depuis son retour, il ne cessait de persécuter. Mais le duc, même si ses compétences en matière militaire étaient limitées, ne souhaitait pas avoir un mentor à ses côtés. Au demeurant, les opérations qu’il dirigea furent fort simples et tinrent plutôt de la promenade. Suchet eut tout de même la joie de voir son fidèle Saint-Cyr Nugues y participer comme chef d’état-major de Lauriston. Il assista au siège de Pampelune et y gagna le titre d’officier de la Légion d’honneur à laquelle – il le confia à Suchet – il aurait préféré les étoiles de divisionnaire qu’il devait recevoir au demeurant un peu plus tard.
À titre de compensation, en quelque sorte, Suchet fut invité à la réception donnée à l’Hôtel de Ville de Paris pour le retour du duc d’Angoulême. Ce fut peut-être au cours de cette soirée qu’Oudinot, qui avait pourtant participé à l’expédition à la tête d’un corps d’armée, eut ce mot cruel : « Ce qu’il y a de déplorable dans cette affaire-ci, c’est que nos gens se persuadent qu’ils font la guerre ! »
Un à un, les maréchaux, ses frères d’armes, commençaient à disparaître. Certains étaient encore relativement jeunes mais la vie des camps avec ses rudesses les avait prématurément usés. Augereau était parti le premier en 1816, presque discrètement. Par contre, la mort de Masséna, au début de 1817, avait failli donner lieu à un énorme scandale. Pour une raison indéterminée, peut-être son état de santé, le prince d’Essling n’avait pas reçu le bâton fleurdelisé en même temps que ses camarades, le 14 juillet 1816. Son gendre, le général Reille, avait écrit à Clarke, alors ministre de la Guerre, qu’il allait être obligé de déposer sur le cercueil de son beau-père le bâton semé d’abeilles ! Affolé, Clarke, au reçu de la lettre, avait couru chez le roi. Louis XVIII, gardant son sang-froid, avait fait envoyer d’urgence le fameux bâton et l’affaire en était restée là.
Puis, en 1819, à trois jours d’intervalle, étaient morts Sérurier et Pérignon. Ce fut Suchet qui fut désigné pour prononcer devant la chambre des pairs l’éloge funèbre de Sérurier. Ce fut une tâche assez facile car il avait surtout servi sous l’Ancien Régime et la Révolution, ayant pris sa retraite en 1801. Kellermann disparut en 1820 ; il était alors le doyen d’entre eux, ayant atteint l’âge respectable de quatre-vingt-cinq ans. Le lendemain même de sa mort, ce fut le tour de Lefebvre. Complètement paralysé, sentant venir sa fin, il s’était fait porter quelques jours plus tôt au Père-Lachaise en compagnie de Mortier et de Suchet et avait choisi l’emplacement de sa tombe à côté de
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