Le Maréchal Suchet
inoccupés des journées entières ainsi que l’inertie et le manque d’initiative de l’administration qui les avait en charge.
L’action de la société était a priori limitée car elle ne disposait d’aucun budget. Elle ne pouvait donc que faire des recommandations et des suggestions et n’y manqua pas. Il semble que le fait qu’elle fût présidée par le duc d’Angoulême ait incité l’administration pénitentiaire à agir car celle-ci se décida à améliorer les conditions de détention et à aménager un peu les locaux. Mais surtout frappés par l’ignorance de la majorité des prisonniers, les administrateurs organisèrent, soit avec des volontaires bénévoles, soit à l’aide de détenus instruits, l’enseignement de ces hommes incarcérés. On leur apprit à lire et pour ceux qui s’y révélaient imperméables des métiers manuels comme la menuiserie. Dans l’ensemble, cette action se révéla un succès. Il y eut de nombreux cas de réinsertion dans la société d’individus jugés jusqu’alors tenant plutôt du gibier de potence. Et ceux qui réintégrèrent l’armée bénéficièrent d’un avancement qui, pour quelques-uns, put se traduire par des grades d’officiers subalternes.
On sait que Suchet avait entretenu des liens amicaux aussi bien avec ses camarades qu’avec des personnalités civiles. Mais son retour à la chambre des pairs lui valut une avalanche de sollicitations d’anciens militaires qui n’avaient pas toujours servi sous ses ordres et se trouvaient dans des situations matérielles difficiles. Certes, le maréchal avait bon cœur mais il lui était impossible de venir en aide à tous ces quémandeurs. Aussi, pour nombre d’entre eux, à son grand regret il dut se contenter de les recommander pour un petit emploi.
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En 1819, Suchet était tout à fait rentré en grâce auprès du roi qui avait oublié son accès d’humeur de 1815. Louis XVIII appréciait la culture, l’esprit, les bonnes manières, le tact et le sens de la mesure du maréchal dont il goûtait la conversation car c’était un ensemble de qualités rares. Il était un des membres exceptionnels de la cour avec qui il pouvait commenter une ode d’Horace. À plusieurs reprises, connaissant ses qualités d’organisateur et sa modération en toutes choses, il songea à lui confier le ministère de la Guerre. Mais, à la fin du compte, le président du Conseil lui préféra Gouvion-Saint-Cyr.
Le soir du 13 février 1820, les Suchet donnèrent un grand bal dans leur nouvel hôtel. Suivant leur habitude, ils avaient invité des membres des deux noblesses et la fête battait son plein lorsqu’un retardataire annonça en arrivant qu’un attentat venait de se perpétrer à l’opéra et qu’un fou furieux avait blessé grièvement le duc de Berry. Ce fut un cri d’indignation générale et, abandonnant là tous ses invités, Suchet se précipita à l’opéra. Le général Thiébault, son ami qui était présent, voulut l’accompagner mais le service d’ordre improvisé ne le laissa pas passer. Suchet, admis seul, parvint jusqu’au roi qui venait d’arriver et l’assura de son soutien et de sa fidélité. Il ne pouvait guère faire davantage et le cœur de pierre que passait pour être Louis XVIII en fut touché.
Suchet, qui n’était pourtant pas particulièrement sanguinaire, tint à siéger à la chambre des pairs lorsqu’elle jugea, en juin, Louvel, l’assassin du duc, petit homme « au visage sale et chafouin » tel que l’a décrit Chateaubriand. Sans hésiter, le maréchal vota la mort de cet excité bonapartiste à tous crins. Napoléon allait avoir le mauvais goût de le porter pour une petite somme sur son testament.
Pour le remercier de la manière dont il avait marqué son attachement à la couronne au moment de la mort du duc de Berry, le roi lui marqua également sa confiance en le désignant en septembre pour faire partie des témoins qui devaient assister aux couches de la duchesse de Berry. C’était là un immense honneur très recherché. On prévint Suchet, fort ignorant de ce que devrait être son comportement, qu’il serait averti en temps utile pour se rendre au château. C’est ce qui se produisit, mais déjouant les prévisions médicales, la duchesse accoucha beaucoup plus rapidement que prévu, si bien que lorsque les témoins venant de l’extérieur se présentèrent aux appartements de la princesse tout était terminé, et il ne leur restait plus
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