Le Maréchal Suchet
contraint, le 17 mars, et le général Hugo, commandant de la garnison laissée sur place, en partit à son tour sur un ordre exprès, le 27 mai. En reculant de la sorte, sans même songer à disputer le terrain, d’abord jusqu’à Valladolid (23 mars), puis jusqu’à Burgos qu’il quitta vers le 10 juin, Joseph sans expliquer à quiconque son comportement faisait la partie belle à son adversaire.
Mais, surtout, la retraite de l’armée du centre et de celle du Portugal laissait complètement à découvert le flanc droit de Suchet. Le roi s’arrêta à Vitoria et, là, tint un conseil de guerre. Le seul général jugeant sainement de la situation, Reille, recommanda de pivoter pour se rapprocher de Saragosse et, ainsi, joindre les forces du roi à celles de Suchet. Sans vraiment trouver d’explication plausible, Joseph rejeta ce plan que Jourdan trouvait pourtant raisonnable. Puis, sans attendre les renforts que lui amenaient Clausel et Foy, il livra bataille le 21 juin avec seulement cinquante-cinq mille hommes contre quatre-vingt mille et cela, dans les pires conditions possibles. Personne n’assuma le commandement de l’armée française dont les unités combattirent séparément sans se prêter assistance. Complètement battu, le roi qui prit la fuite manqua de peu d’être fait prisonnier et, si la défaite ne tourna pas à la déroute, ce fut parce que les vainqueurs se débandèrent pour participer au pillage du fabuleux convoi que Joseph traînait avec lui. Le soir, Jourdan, malade mais flegmatique, et avec une pointe de cynisme, constata en retrouvant le roi : « Eh bien ! on a voulu donner une bataille et la voilà perdue ! » Dès lors, l’armée allait reculer sans interruption jusqu’au-delà des Pyrénées.
Grande fut la colère de Napoléon lorsqu’il apprit cette défaite et la façon stupide dont avait été menée l’action. Peu s’en fallut qu’il ne fît arrêter Joseph. Jourdan fut relevé de son commandement et renvoyé dans ses terres avec prière de fournir des explications. Pour tenter de redresser une situation bien compromise, l’empereur nomma à la tête de l’armée Soult qui, lui, était un homme de guerre. En apprenant le désastre de Vitoria, Suchet comprit immédiatement toute la précarité de sa position. Il lui était impossible de se maintenir à Valence. Sans plus tarder, il entreprit l’évacuation du royaume et commença à envisager d’agir de même pour l’Aragon faute de moyens.
Le repli commença dans les premiers jours de juillet et s’effectua en ordre parfait en direction de la Catalogne. L’ennemi, tout en suivant les mouvements de loin, ne chercha pas à entraver cette retraite. Toutefois, Suchet, s’il abandonnait le terrain, pensait qu’un retournement de situation permettrait un retour de l’armée française. D’ailleurs, les victoires de Napoléon à Lützen et à Bautzen au mois de mai, même si elles étaient dues davantage à la médiocrité des généraux alliés, comme Moreau de retour d’Amérique le fit remarquer au tsar, qu’au génie de Napoléon, permettaient d’espérer que dans un proche avenir les alliés allaient se trouver contraints de solliciter la paix. Suchet ne pouvait deviner que la défaite de Vitoria allait déterminer l’Autriche jusqu’alors neutre et très hésitante à se joindre aux alliés.
C’est pourquoi le maréchal décida de conserver un certain nombre de places fortes : Denia, Sagonte, Peniscola et Morella dans le royaume ; Mequinenza, Saragosse, Jaca, Vanasque en Aragon ; Tortose, Lérida, Monson et Tarragone en Catalogne. Les garnisons qu’il y plaça varièrent suivant l’importance des localités de cent à cinq mille hommes. L’artillerie comportait de cinq à cinq cents pièces par ville et toutes étaient approvisionnées abondamment en munitions d’artillerie, cartouches, poudre et vivres de manière à pouvoir tenir en cas de blocus un minimum de huit mois. En revanche, et à regret, il abandonna Valence dont les défenses avaient été rasées et qui n’étant plus protégée que par ses anciennes murailles aurait exigé une garnison trop importante. Il allait ainsi perdre les bénéfices de son duché.
Suchet comptait sur le fait que ces forteresses tenues par les Français gêneraient considérablement les mouvements des Espagnols et que leur blocus immobiliserait des forces ennemies en quantité non négligeable, en tout état de cause beaucoup plus
Weitere Kostenlose Bücher