Le Maréchal Suchet
malgré ses demandes réitérées de renforts, du manque permanent d’effectifs. Il lui aurait fallu au moins deux fois plus de troupes pour assurer la protection efficace et continue de l’administration créée ou rétablie par lui. Mais, justement, ce fut à cause de ses succès partiels qui laissaient croire à Paris qu’il était déjà parvenu à pacifier entièrement le pays qu’il se les vit systématiquement refuser.
Ne pas lui avoir accordé les moyens d’achever la conquête du royaume de Valence en mettant la main sur Alicante fut une grave erreur de Napoléon qui s’imagina que la prise de la seule ville de Valence et de l’armée qui s’y trouvait suffirait à amener la soumission de tout le pays. Faute d’avoir été menée à son terme, l’expérience constructive de Suchet s’effondra à partir de 1813 au fur et à mesure qu’il fut contraint d’évacuer les villes qu’il avait méthodiquement conquises.
Il y eut au moins une personne pleine d’admiration pour le travail réalisé en Espagne par le maréchal qui comprit la leçon et employa la méthode inventée par Suchet à son profit personnel. Ce fut le commandant Bugeaud. Plus de vingt-cinq ans plus tard, devenu lui-même général et chargé de la pacification en Algérie, il sut, cette fois avec succès, créer une économie et mettre en place une administration qui tout en s’appuyant sur l’armée allait y assurer la paix et la prospérité pour plus de cent ans.
X
L’ÉCROULEMENT DE L’EMPIRE
(1813-1814)
Malgré le bel optimisme dont continuait à faire preuve Napoléon, l’année 1813 s’annonçait difficile pour la France. Après le désastre de la campagne de Russie, elle allait avoir à combattre à la fois la Grande-Bretagne, la Prusse, la Russie, la Suède, et les deux États en révolte de la péninsule Ibérique. Quant à l’Autriche, elle demeurait pour le moment neutre, mais cette attitude en elle-même avait quelque chose d’inquiétant. Aussi, dès le mois de mars, le maréchal renvoya-t-il en France sa femme bien que celle-ci l’eût assuré vouloir demeurer à ses côtés et, comme il ne voulait pas de mauvaise surprise en cours de route, il lui fournit une puissante escorte. Au demeurant, elle allait bientôt mettre au monde leur fils qui fut prénommé Napoléon.
Certes, l’empereur affectait de considérer l’Espagne comme un front tout à fait secondaire qui ne jouait aucun rôle dans la sécurité de la France. Il prescrivait à Joseph de se contenter de contenir Wellington et de l’empêcher de tenter un débarquement sur les côtes d’Aquitaine. Mais, alors que celui-ci avait sous ses ordres une armée bien équipée, bien entraînée, constamment renforcée et jouissant d’une unité de commandement, Joseph se voyait contraint de prélever sur des forces déjà insuffisantes un certain nombre de divisions pour les renvoyer à son frère. Fait sans doute plus grave, Napoléon lui enleva le maréchal Soult pour lui confier le commandement de la vieille garde et un peu plus tard, après la mort de Bessières, de la garde entière. Or Soult, malgré son caractère difficile, restait le plus en mesure, même avec des moyens réduits, de faire face et de battre Wellington. Il est probable que s’il avait été remplacé par Suchet, ce dernier se serait montré à la hauteur de la situation. Mais Suchet était jugé indispensable dans les provinces orientales et Napoléon, pour soutenir son incapable frère, ne trouva à envoyer que Jourdan. Il était âgé, fatigué, malade et n’avait plus la foi, jugeant qu’en tout état de cause et quoi que l’on fît on n’éviterait pas la catastrophe. De plus, avec lui, on ne pouvait véritablement prétendre à une unité de commandement entre les différentes armées, car il ne voulait plus jouer un autre rôle que celui de conseiller. Napoléon avait préconisé d’abandonner du terrain et de tenir une ligne courant de Madrid à Burgos en passant par Valladolid et, éventuellement, un peu plus en arrière sur la haute vallée de l’Èbre.
Quant à Suchet, puisque jusqu’à présent il avait si bien réussi, il devait se maintenir à tout prix sur ses positions ! Or, Wellington estimait avec quelque raison que les troupes anglo-espagnoles, censées combattre celles du duc d’Albufera, avaient, au cours de l’année 1812, fait preuve de beaucoup de mollesse. Il imputait en grande partie celle-ci au comportement du général Maitland
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