Le mariage de la licorne
désire être un moine comme avant. Faites-moi travailler le jour et prier la nuit, et dormir sur une natte dans un coin de dortoir. Je promets de jeuner et d’apprendre tout ce qu’on voudra m’enseigner.
— Mais, mon fils, c’est toi-même qui as jadis pris la fuite, dit la voix aimable de l’abbé Antoine qui était entré sans bruit. Louis se retourna pour lui faire face. Antoine lui sourit et regarda ensuite Bernard :
— Vous excuserez cette intrusion, mon père. J’ai frappé par deux fois, mais, n’obtenant pas de réponse, j’ai cru bon de prendre la liberté d’entrer tout de même.
— Euh… vous avez bien fait, dit Bernard. Antoine s’adressa à Louis :
— Maintenant, mon fils, si tu veux bien m’accompagner jusqu’à mon étude, j’aimerais causer un brin avec toi.
— Bon.
Avant de sortir, Louis fit un signe de tête au maître des postulants et écarta ses effets personnels d’un coup de pied. Il abandonna aussi son épée sur le bureau de Bernard qui la regarda sans oser y toucher.
*
— Je crains que tu n’aies un peu effrayé ce bon père Bernard. Il n’est plus si jeune, dit Antoine en prenant place derrière une petite table à tréteaux dont le dessus disparaissait sous toutes sortes de parchemins et de livres.
L’abbé souriait et attendait des excuses qui ne vinrent pas. Il dit doucement :
— Tes amis Lambert et Pierre ont appris la nouvelle de ton retour. Ils en sont ravis et sont impatients de fêter vos retrouvailles. Je crois avoir entendu le facétieux frère Lambert parler d’un pillage des cuisines en ton honneur.
— Ah.
Louis baissa les yeux sur ses mains croisées sur ses genoux. Lambert et Pierre… Comme ils paraissaient lointains, les souvenirs que ces noms évoquaient. Des amis ? Il ne les connaissait plus. Il ne les avait peut-être jamais réellement connus.
— Ainsi, après avoir erré de par le monde, tu nous reviens avec le réel souhait de te faire moine.
— Oui.
— Oui, mon père, corrigea l’abbé. Louis reprit avec une certaine réticence :
— Oui, mon père.
— Et qu’est-ce qui te fait croire que tu tiendras bon cette fois-ci ? Louis leva la tête et ses yeux luisirent méchamment.
— Non, pas de ça, mon fils. La colère n’a pas sa place ici.
Le bourreau baissa à nouveau la tête. Un certain temps passa avant qu’il ne consente à dire :
— J’ai fait ce que j’avais à faire au-dehors.
— Cette chose que tu as faite, était-ce la raison de ta fuite ?
— Oui.
Antoine joignit les mains devant sa bouche et en frotta pensivement son nez arrondi avant de demander encore :
— Et cette chose est-elle aussi la raison de ton retour ?
Surpris, Louis releva la tête en clignant des yeux. Ce petit vieux rondelet était décidément plus futé qu’il ne le laissait paraître.
— Oui, admit-il.
— Je crois que je comprends.
Le bourreau exhala un long soupir. Il se sentait tout à coup très las. Antoine dit tout bas, en détaillant le visage qu’il avait devant lui :
— Les épreuves, bien davantage que le temps, ont le don de modeler l’âme d’un homme. Tu as beaucoup souffert, Louis. Et tu as changé.
— Mon passé est dur à porter.
— Ton présent est dur à accepter.
Louis acquiesça. Antoine dit encore :
— Et ton avenir est dur à imaginer.
— Oui, mon père.
« Quel avenir ? pensa-t-il. S’il savait tout ce que j’ai pu faire pour arriver à mes fins ! Et voilà, j’y suis, c’est fini. Je veux apprendre à vivre enfin. »
Ce fut au tour d’Antoine de laisser échapper un profond soupir.
— Permets-moi de t’exprimer le fond de ma pensée, Louis, du père spirituel que je suis au fils spirituel que tu es, dit-il en appuyant sur la nuance.
Le bourreau acquiesça encore, l’invitant à poursuivre.
— Tu es revenu ici non pas pour te faire moine, mais pour demander asile. Cependant, Louis, si le monastère est un refuge contre l’hostilité du monde extérieur pour un fugitif, il n’en est hélas pas un contre le monde intérieur qui est le lot de chacun. Cela dit, le moyen de te délivrer existe bel et bien. Ta seule erreur vient du fait que tu ne le cherches pas au bon endroit.
— Où dois-je aller, alors ?
Antoine sourit.
— Nulle part. Il est déjà en toi, où que tu ailles.
— Et qu’est-ce que c’est ?
— C’est à toi de me le dire, mon fils.
Ainsi, l’abbé amorça chez Louis un mécanisme
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