Le médecin d'Ispahan
dit, Majesté, que j'ai été mendiant ? demanda Karim avec un sourire.
– Un mendiant
qui boit maintenant le vin du roi des rois ! Oui, j'ai choisi pour amis un
mendiant et deux Juifs, s'écria le roi en éclatant de rire. J'ai de grands
projets pour mon chef des chatirs et il y a longtemps que j'aime les dhimmis,
ajouta-t-il avec une tape amicale pour Rob. Et voilà que j'en découvre un
autre, remarquable. Reste à Ispahan après tes études, Mirdin Askari. Tu seras
médecin de la cour.
– Sire, vous
me faites honneur. Mais mon père est âgé et malade ; je serai le premier
médecin de notre famille et je voudrais qu'avant de mourir il me voie installé
parmi les miens.
– Que font-ils
sur le golfe Persique ?
– J'ai
toujours vu les nôtres sillonner les côtes pour acheter des perles aux
plongeurs.
– Des
perles ! Je les achète quand elles sont belles. Dis à tes parents de
m'apporter la plus grosse et la plus parfaite ; je ferai leur
fortune. »
Ils rentrèrent
en vacillant sur leurs selles. La bienveillance du souverain durerait-elle plus
que son ivresse ? Quand on arriva aux écuries royales, où se pressaient
courtisans et flatteurs, il cria devant la moitié de la cour :
« Nous
sommes quatre amis ! Rien que quatre hommes de bien, unis par
l'amitié. »
La nouvelle
eut tôt fait de se répandre en ville, comme tous les commérages qui
concernaient le chah.
« Avec
certains amis, la prudence est nécessaire », dit à Rob Ibn Sina une
semaine plus tard.
Ils
assistaient ensemble à une fête donnée pour le roi par Fath Ali, un riche
négociant en vins. Rob s'ennuyait à ces réceptions, qui se ressemblaient
toutes ; il y perdait son temps, mais les bénéficiaires de calaat ne
pouvaient s'en dispenser. Il était heureux, en revanche, de voir Ibn Sina, qui
ne l'invitait plus guère depuis son mariage. Ils se promenèrent dans la
propriété du marchand, profitant d'un court moment de liberté car Ala venait
d'entrer dans le harem de Fath Ali.
« Il ne
faut jamais oublier qu'un monarque n'est pas un homme comme toi et moi. Un
geste indifférent de sa main et tu es mort, ou il accorde la vie en bougeant un
doigt. Personne ne résiste au pouvoir absolu : il fait perdre la tête aux
meilleurs souverains.
– Je ne
cherche pas sa compagnie et n'ai aucune ambition politique.
– Les
monarques orientaux aiment choisir leurs vizirs parmi les médecins, qu'ils
croient des favoris d'Allah. J'ai connu l'ivresse du pouvoir car, étant plus
jeune, j'ai été deux fois vizir à Hamadhan. C'était plus dangereux que la
médecine. La première fois, j'ai échappé de peu à l'exécution ; jeté dans
une forteresse, j'y ai langui pendant des mois. Après cela, vizir ou pas, il
n'y avait plus de sécurité pour moi à Hamadhan. Avec al-Juzjani et ma
maisonnée, je suis venu m'installer à Ispahan sous la protection d'Ala.
– Heureusement
pour la Perse, il laisse les grands médecins à leur carrière.
– Il se fait
une réputation de protecteur des arts et des sciences. Il a toujours été avide
d'influence mais il lui faut maintenant dévorer ses ennemis s'il ne veut pas
être mangé.
– Les
Seldjoukides ?
– Je les
craindrais si j'étais vizir à Ispahan. Mais c'est surtout Mahmud, le sultan de
Ghazna, qu'il craint et envie. Il a déjà lancé quatre raids en Inde et capturé
vingt-huit éléphants de guerre, mais Mahmud en a plus de cinquante et fait
obstacle à son rêve de grandeur. »
Ibn Sina
s'interrompit et posa sa main sur le bras de Rob.
« Sois
très prudent. Selon des gens bien informés, les jours de Qandrasseh au pouvoir
sont comptés, et un jeune médecin devrait le remplacer. »
Rob ne dit
rien mais il se rappela les « grands projets » d'Ala à propos de
Karim.
« Si
c'est vrai, l'imam poursuivra sans pitié tout ami ou partisan de son rival. Il
ne suffit pas de n'avoir aucune ambition politique ; un médecin qui
fréquente les puissants doit apprendre, s'il veut survivre, à plier ou à transiger. »
Rob n'était
pas certain d'avoir ces deux talents.
« Mais ne
t'inquiète pas, dit Ibn Sina, Ala change souvent d'avis et l'on ne peut pas
compter sur ce qu'il fera plus tard. »
Ils
retournèrent au jardin et virent bientôt le chah sortir du harem de son hôte,
l'air détendu et de bonne humeur. Curieux de savoir si le grand médecin avait
déjà lui aussi donné une fête à son royal protecteur, Rob s'approcha de Khuff
et lui posa
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