Le médecin d'Ispahan
les nobles
se vantaient de l'avoir pour médecin, il gagnait beaucoup d'argent, dépensait
beaucoup et comblait de cadeaux ses amis. Il faisait les yeux doux à Mary tout
en lui disant des horreurs en persan, qu'elle avait, disait-elle, la chance de
ne pas comprendre. Mais elle l'aimait bien et le traitait comme un frère un peu
filou.
Même à
l'hôpital, les étudiants se pressaient autour de lui, suivant ses faits et
gestes comme s'il était le sage des sages, et Mirdin disait avec ironie que le
meilleur moyen pour un médecin de faire carrière était de gagner le chatir.
De temps en
temps, al-Juzjani interrompait Rob dans son travail pour lui demander le nom
d'un instrument ou son usage. Il y en avait une multitude : bistouris de
formes diverses, scalpels, scies, curettes, sondes, mèches... La méthode du
chirurgien se révéla très efficace car, au bout de deux semaines, quand Rob
l'assistait en cours d'opération, il lui suffisait d'un murmure pour tendre
immédiatement l'instrument qui convenait.
Deux autres
étudiants travaillaient depuis des mois avec al-Juzjani, qui ne leur laissait
que les cas simples, accompagnés de commentaires caustiques et de critiques
sans indulgence. Rob passa dix semaines à observer et aider avant de pouvoir
pratiquer la moindre incision, même sous surveillance. Il eut enfin à amputer
d'un index un porteur qui avait eu la main écrasée sous le pied d'un chameau.
Une intervention qu'il avait déjà faite quand il était
barbier-chirurgien ; mais il avait toujours été gêné par le sang. Tandis
que la technique du tourniquet, qu'il avait apprise d'al-Juzjani, lui permit de
fermer le moignon avec à peine un suintement.
Le chirurgien
l'observa attentivement, maussade comme à son habitude, et, quand Rob eut fini,
s'en alla sans un mot d'approbation, mais sans grogner non plus ni indiquer une
meilleure méthode. En nettoyant la table après l'opération, l'élève se sentit
content : c'était une petite victoire.
53. QUATRE AMIS
Si le roi des rois avait pris des mesures pour réduire les pouvoirs de son vizir,
depuis les révélations de Rob, rien n'en transparaissait. Les mullahs de
Qandrasseh, plus omniprésents que jamais, redoublaient de rigueur et d'énergie
pour imposer à Ispahan les préceptes coraniques de l'imam. Rob n'avait pas été
convoqué depuis sept mois et il s'en réjouissait quand, un matin, des soldats
vinrent le chercher.
« Le chah
désire que vous partagiez aujourd'hui sa promenade à cheval. »
Il rassura
Mary, qui s'inquiétait, et les suivit. Aux écuries, derrière le palais du
Paradis, il trouva Mirdin tout pâle et ils se demandèrent si Karim n'était pas
intervenu ; en effet, le nouveau favori, suivant le roi, rejoignit ses
amis avec un large sourire. Mais, en se prosternant, Mirdin Askari murmura
quelques mots dans la Langue et le chah se pencha brusquement.
« Qu'as-tu
dit ? Tu dois parler persan !
– C'est une
bénédiction, sire, que les Juifs prononcent devant le roi :
" Béni sois-Tu, Seigneur notre Dieu, roi de l'Univers, qui as revêtu
de Ta gloire l'homme, Ta créature. "
– Ainsi, les
dhimmis rendent grâces à Dieu en voyant leur chah ? » s'écria Ala
étonné et ravi ; d'excellente humeur, il sauta sur son cheval blanc, et
ils le suivirent dans la campagne.
« Il
paraît que tu as pris une épouse européenne, cria-t-il à Rob en se retournant
sur sa selle.
– C'est vrai,
Majesté.
– On dit
qu'elle a les cheveux couleur de henné ?... Une chevelure de femme doit
être noire ! »
Inutile de
discuter, se dit Rob ; mieux vaut avoir une femme qu'Ala n'apprécie pas.
Il trouva cette journée plus agréable que les précédentes car il n'était pas
seul à subir l'attention royale. Le souverain découvrait avec plaisir chez
Mirdin une connaissance approfondie de l'Histoire perse et ils parlèrent du sac
de Persépolis par Alexandre. Dans la matinée, Ala et Karim s'exercèrent au
cimeterre, pendant que Mirdin et Rob s'entretenaient des mérites respectifs de
la soie, du lin, du crin de cheval pour les ligatures chirurgicales ; Ibn
Sina préférait le cheveu humain.
Ils
déjeunèrent sous la tente du chah, puis se succédèrent à l'échiquier, et la
défense brillante de Mirdin ne rendit que plus douce au souverain sa victoire.
Dans la grotte secrète, ils livrèrent tous quatre leurs corps à la chaleur du
bassin et leurs esprits à la délicatesse d'un vin inépuisable.
« Vous
ai-je
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