Le médecin d'Ispahan
produit d'abord un cœur minuscule, puis
une autre devient le foie ; enfin dans la troisième étape se forment tous
les organes essentiels.
« J'ai
découvert une église, dit un jour Mary.
– Une église
chrétienne ? »
Il en fut
surpris car il n'en connaissait pas à Ispahan. Elle l'avait trouvée par hasard
en allant avec Fara au marché arménien. L'église de l'Archange-Michel, dans une
ruelle nauséabonde, était petite, triste et fréquentée par une poignée de
travailleurs arméniens misérables.
« Ils
disent la messe dans leur langue, nous ne pourrions même pas répondre.
– Mais ils
célèbrent l'eucharistie, le Christ est présent sur leur autel.
– Ce serait
risquer ma vie. Accompagne Fara à la synagogue et prie en silence. C'est ce que
je fais moi aussi. »
Elle leva les
yeux, et pour la première fois, il vit une révolte dans ses yeux.
« Je
n'attends pas la permission des Juifs pour prier », dit-elle avec feu.
Par un matin
ensoleillé, assis sur les marches de pierre de la madrassa, Rob parlait de Mary
et de sa nostalgie de l'Eglise. Mirdin soupira.
« Priez
ensemble quand vous êtes seuls, et ramène-la parmi les siens aussitôt que tu le
pourras. »
Quel ami
fidèle il avait été depuis qu'il savait que Jesse ne partageait pas sa
foi !
« As-tu
réfléchi que chaque religion prétend avoir seule le cœur et l'oreille de
Dieu ? Nous, toi Mirdin et l'islam jurons chacun détenir la vérité.
Peut-être avons-nous tous tort ?
– Ou tous
raison. »
Rob eut un
élan d'affection pour son ami. Il serait bientôt médecin et retournerait dans
sa famille à Mascate, tandis que lui-même regagnerait l'Europe. Ils ne se
reverraient jamais.
« Nous
retrouverons-nous au paradis ?
– Oui, je le
jure, dit Mirdin gravement. Si une rivière sépare la vie du paradis et que
plusieurs ponts la traversent, crois-tu que Dieu se soucie du pont que choisit
chaque voyageur ? »
Ils se
séparèrent pour rejoindre leur travail. Rob s'assit avec deux autres étudiants
dans la salle d'opération et al-Juzjani leur recommanda une discrétion absolue
sur l'intervention qui allait suivre. II ne révélerait pas l'identité de la
patiente, mais laissait entendre qu'elle était proche parente d'un personnage
puissant, et qu'elle avait un cancer du sein. Devant la gravité du mal, on
avait levé l'interdiction, faite à tout homme autre que le mari, de voir une
femme du cou aux genoux ; ainsi pourraient-ils opérer.
La malade,
endormie avec des opiacés et du vin, était forte, lourde, des mèches grises
s'échappaient du foulard qui couvrait sa tête voilée et rien n'apparaissait de
son corps, que ses gros seins flasques ; elle était manifestement âgée.
Chaque étudiant dut palper la poitrine pour reconnaître la tumeur, d'ailleurs
bien visible sur le sein gauche : une grosseur longue comme le pouce et
trois fois plus épaisse.
Rob n'avait
jamais vu une poitrine humaine ouverte. Al-Juzjani entama la chair molle et
coupa au-dessous de la tumeur, pour l'extraire en entier ; il travaillait
vite, soucieux de terminer avant le réveil de sa patiente. On voyait à
l'intérieur du sein muscle, tissu cellulaire, graisse jaune ; les canaux
lactifères convergeaient autour du mamelon comme les ramifications d'un fleuve
à son embouchure. Peut-être le chirurgien en avait-il touché un car un peu de
liquide rougi jaillit du bout du sein, telle une goutte de lait rosé. Il
recousit très vite, avec une sorte de nervosité.
Elle est
parente du chah, se dit Rob. Une tante peut-être, celle-là même dont il avait
parlé dans la grotte, et à qui il devait son initiation sexuelle. La poitrine
refermée, on emporta la femme gémissante, sur le point de se réveiller.
« Elle
est perdue, soupira al-Juzjani. Le cancer finira par la tuer mais nous essayons
d'en retarder es progrès. »
Puis il
aperçut Ibn Sina dehors et s'en fut lui rendre compte de l'intervention pendant
que les assistants nettoyaient la salle. Peu après, le médecin-chef entra, dit
quelques mots à Rob et le quitta en lui tapotant l'épaule. Celui-ci, stupéfait
de ce qu'il venait d'entendre, partit à la recherche de Mirdin qui travaillait
au trésor des drogues. Il le rencontra dans le couloir qui menait à la
pharmacie et lut sur son visage toutes les émotions qui l'agitaient lui-même.
« Toi
aussi ?... Dans deux semaines ?
– Oui.
– Je ne suis
pas prêt, Mirdin ! Tu es là depuis quatre ans ; moi
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