Le médecin d'Ispahan
Dans une pièce qui
puait le mouton et le sang, on avait écorché des peaux toute la journée. Après
le maristan et l'expédition indienne, Rob n'était pas dépaysé. Mary semblait
fatiguée.
« Il te
faudra un berger de moins, maintenant que je suis là.
– Tu es
fou ! »
Le prenant par
la main, elle le mena à un autre bâtiment de pierre. A l'intérieur, trois
pièces blanchies à la chaux : un bureau, une salle d'examen comme à
Ispahan et une troisième avec des bancs de bois pour faire attendre les
patients.
Il fit peu à
peu connaissance avec les gens. Un musicien nommé Ostric s'était ouvert une
artère en écorchant un agneau. Rob arrêta le sang, ferma la plaie et rassura
l'homme qui craignait de ne plus pouvoir jouer de sa cornemuse. Plus tard, il
rencontra le père de Craig, dont il examina les doigts déformés, gonflés et les
ongles étrangement incurvés.
« Tu
souffres depuis longtemps d'une mauvaise toux, et de fièvres fréquentes ?
demanda-t-il au vieillard.
– Qui te l'a
dit ? » dit Malcolm Cullen, surpris.
Ce symptôme
qu'Ibn Sina avait appelé les « doigts d'Hippocrate » indiquait toujours
une maladie des poumons.
« Je le
vois dans tes mains. Tes orteils sont atteints aussi, n'est-ce
pas ? »
En posant
l'oreille contre sa poitrine, il entendit comme un crépitement de vinaigre qui
bout.
« Tu es
plein de liquide. Viens au dispensaire, je percerai un petit trou entre deux
côtes et je retirerai l'eau peu à peu. En attendant, je vais analyser ton urine
et te donner des fumigations et un régime pour assécher ton corps. »
« As-tu
ensorcelé le vieux Malcolm ? lui dit Mary le soir. Il raconte à tout le
monde que tu guéris par ta magie. »
Pendant les
jours suivants, il ne vit personne et s'inquiéta. Mais c'était le temps de
l'agnelage. Les clients revinrent dix jours plus tard. On savait maintenant
par-delà les collines que l'époux de Mary Cullen était un vrai médecin. Il n'y
en avait jamais eu à Kilmarnock et Rob devrait lutter des années contre les
idées fausses et les remèdes de bonne femme. On lui demandait aussi de soigner
les animaux. Il disséqua une vache et quelques moutons, pour y voir plus clair.
Ils étaient différents du porc et de l'homme.
Dans la
chambre où ils consacraient leurs nuits à engendrer un nouvel enfant, il voulut
la remercier pour ce dispensaire qu'elle avait entrepris dès son retour à
Kilmarnock.
« Mais,
dit-elle en se penchant sur lui, combien de temps t'aurais-je gardé sans ton
travail, hakim ? »
Il n'y avait
aucun reproche dans ses paroles, et elle s'empressa de lui fermer la bouche
d'un baiser.
80. UNE PROMESSE TENUE
Rob emmenait ses enfants dans la forêt et les collines à la recherche des plantes
dont il avait besoin, qu'il faisait sécher ou réduisait en poudre. Il leur
expliquait tout, en montrant chaque feuille et chaque fleur ; il leur
parlait des herbes, celles qu'on utilise pour les maux de tête, la crampe, la
fièvre ou le catarrhe, pour le saignement de nez, les engelures, l'amygdalite
purulente ou les douleurs osseuses.
Craig Cullen,
qui fabriquait des cuillers en bois, mit tout son art à façonner des boîtes
couvertes pour y conserver les plantes. Elles étaient, comme ses cuillers,
ornées de nymphes, d'elfes et d'autres créatures sauvages, ce qui donna à Rob
l'idée de dessiner quelques-unes des pièces du jeu du chah.
« Pourrais-tu
faire quelque chose comme ça ?
– Pourquoi
pas ? » répondit Craig intrigué.
Il sculpta
chaque pièce et fit l'échiquier d'après les dessins, si bien que Rob et Mary
purent à nouveau passer des heures au jeu enseigné par le roi mort. Comme il
voulait apprendre le gaélique, elle lui enseigna d'abord les dix-huit lettres
de l'alphabet. Grâce à son expérience des langues, il sut, dès le début de
l'hiver, écrire de courtes phrases en erse, essayant aussi de parler, ce qui
amusa beaucoup les bergers et les enfants.
L'hiver fut
rude, surtout vers la Chandeleur. Puis on chassa, en repérant les traces dans
la neige, le gibier à plume, les chats sauvages et les loups qui décimaient les
troupeaux. Le soir, on veillait devant le feu dans la grande salle, chacun
occupé à de petits travaux, et Ostric parfois jouait de la cornemuse. On
fabriquait à Kilmarnock un célèbre tissu de laine, teint aux couleurs de la
bruyère avec des lichens de rochers. Pour éviter qu'elle ne rétrécisse par la
suite, l'étoffe,
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