Le médecin d'Ispahan
légère avec
une broche d'argent et une ceinture en daim cloutée d'argent. Elle était calme
mais ses yeux brillèrent lorsque le père Domhnall la déclara unie pour
toujours, elle et ses enfants à Robert Jeremy Cole. Toute la parenté fut
ensuite invitée à venir rencontrer son mari.
Les MacPhee
vinrent de l'ouest à travers les collines et les Tedder traversèrent la grande
rivière. Ils apportaient des cadeaux, des gâteaux, des pâtés de gibier... On
mit à la broche un taureau et un bœuf, huit moutons, une douzaine d'agneaux et
d'innombrables volailles. On joua de la harpe, de la cornemuse, de la viole, de
la trompette et Mary chanta avec les autres femmes.
L'après-midi,
pendant les concours de lutte et d'athlétisme, Rob rencontra ses légions de
cousins ; il apprécia les uns, pas les autres et, résistant aux invites
des plus ivres, s'en tira avec un mot gentil et un sourire.
Le soir, il
partit se promener loin de la fête, dans la nuit étoilée et fraîche. Il respira
l'odeur des ajoncs, entendit les moutons, le hennissement d'un cheval, le
souffle du vent dans les collines, le murmure des eaux. Et il crut sentir sous
ses pieds de fortes racines poussant au plus profond de ce sol de terre et de
silex.
81. LE CYCLE ACCOMPLI
Pourquoi une femme allait-elle ou non concevoir une nouvelle vie, c'était le grand
mystère. Avec deux enfants et cinq ans sans grossesse, Mary se trouva enceinte
après son mariage. Elle se ménageait davantage, demandait plus volontiers
l'aide des hommes. Ses fils la suivaient, se chargeant des tâches à leur
portée. On savait déjà qui serait berger. Rob J. semblait se plaire au travail
mais Tarn était toujours prêt à nourrir les agneaux et suppliait qu'on le
laisse tondre. Un autre don apparut en lui quand il commença à dessiner par
terre avec un bâton. Son père lui donna du charbon de bois, une planchette de
pin, lui montra comment on peut représenter les objets ou les gens, n'eut pas
besoin de lui dire de ne pas omettre les défauts.
Au-dessus de
son lit, on avait mis au mur le tapis des rois samanides ; chacun savait
qu'il lui appartenait et que c'était le cadeau d'un ami persan. Mary et Rob
n'évoquèrent qu'une fois ce qu'ils avaient enfoui au fond de leur mémoire. Il
ne serait pas bon pour Tarn d'apprendre qu'il avait peut-être une armée de
demi-frères étrangers qui lui resteraient inconnus.
« Nous ne
le lui dirons jamais.
– Il est de
toi », dit-elle en le prenant dans ses bras, et entre eux grandissait ce
qui allait être Jura Agnes, leur seule fille.
Rob sut
bientôt la langue que l'on parlait autour de lui. Le père Domhnall lui prêta
une bible traduite en erse par des moines irlandais et, comme il avait
travaillé le persan en lisant le Coran, il étudia le gaélique dans les Saintes
Ecritures. Il avait accroché dans son bureau l'Homme transparent et la Femme
enceinte, ainsi commença-t-il à enseigner l'anatomie à ses fils en répondant à
leurs questions. Quand on l'appelait pour soigner un malade ou un animal, il
emmenait souvent l'un ou l'autre. Un jour, Rob J. monta derrière son père sur
le dos d'Al Borak et ils allèrent jusqu'à la petite maison des collines où
mourait Ardis, la femme d'Ostric. L'enfant regarda Rob doser l'infusion, la
donner à la malade, puis préparer un linge mouillé.
« Tu peux
lui baigner le visage. »
Il le fit avec
douceur, prenant grand soin des lèvres gercées. Alors Ardis prit les jeunes
mains dans les siennes et aussitôt Rob J. pâlit, se troubla et retira ses
mains.
« Tout va
bien, dit Rob en serrant contre lui les minces épaules. Tout va bien. »
Sept ans
seulement. Deux ans de moins que lui lors de sa première expérience. Il
s'émerveilla de cette continuité dans sa vie : un grand cycle était
accompli. Il réconforta et soigna Ardis. Dehors, il regarda son fils en lui
tenant les mains pour qu'il se rassure au contact de sa vitalité.
« Ce que
tu as senti chez Ardis et la vie que tu sens en moi, tout cela est un don du
Tout-Puissant. Il n'est pas diabolique mais salutaire. Tu le comprendras plus
tard. N'aie pas peur.
– Oui,
papa », dit l'enfant, qui avait repris ses couleurs.
Ardis mourut
huit jours plus tard. Pendant des mois, Rob J. ne vint plus au dispensaire et
ne demanda plus à visiter les malades. S'impliquer dans la souffrance du monde
doit être un acte volontaire, se dit Rob, même pour un enfant.
Après les
soins aux moutons avec Tarn ou les
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