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le monde à peu près

le monde à peu près

Titel: le monde à peu près Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Rouaud
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explicative
porterait un éclairage nouveau sur ses grands yeux tristes ? Ce ne pouvait
être qu’une information de second ordre, honteuse peut-être, mais entrant dans
le cycle normal des aléas de la vie.
    Je sentais fléchir ma capacité à m’émouvoir, montrant même
quelques signes d’impatience, maintenant que j’avais éprouvé du bout des doigts
le grain de sa peau. Alors dis-moi tout, Théo, et qu’on n’en parle plus, que
cesse ce ballet cruel de ta bouche à la mienne. Elle hésita, puis, après un
moment de réflexion, non, vraiment non, que je n’insiste pas. J’essayai de la
mettre sur la voie ainsi que je l’avais fait précédemment. C’était grave ?
Elle s’en remettrait ? Y aurait-il des conséquences ? Non, non,
qu’est-ce que j’allais imaginer, d’ailleurs elle regrettait de s’être
inutilement avancée, et puis il n’y avait pas de quoi en faire un plat, et puis
c’était son affaire après tout. Je n’avais rien demandé mais comme tu voudras,
Théo. Et alors que nous amorcions un nouveau rapprochement je pensais au pire,
passant en revue un catalogue de l’inavouable : coucher avec un professeur
pour connaître les sujets d’un examen ? faire le trottoir ? épouser
un banquier ? se compromettre avec un juge ? s’engager dans la
police ? Mais on verrait plus tard car Théo, bras en l’air, retirait son
chandail, et les bonnets blancs de son soutien-gorge trouant soudain la
pénombre, vous pensez bien, il y avait autre chose à penser.

 
    Le lendemain, on s’en veut. Non de ce qui s’est passé, pour
quoi l’on rend grâce à Théo, au ciel et à la terre entière, mais de s’être
conduit comme un mufle. Pas avec la belle, évidemment – nous (pluriel
de majesté pudique) péchâmes plutôt par excès de délicatesse –, mais avec
le temps : n’en avoir pas su goûter chaque instant, pleinement, successivement,
à sa juste valeur. Prenez les bonnets blancs, par exemple, comme deux
serre-livres pour œuvre de chair, qui creusent entre les seins gonflés ce
sillon-entonnoir où s’engouffrent comme dans un trou noir le regard, la lumière
et le désir, avec leurs fines bretelles qui coupent à la perpendiculaire les
clavicules, comme à la réflexion tout est allé trop vite. Pourquoi s’être
précipité sur l’agrafe dans le dos, s’être acharné, quoique délicatement, à la
défaire, et à triomphalement, quoique humblement, ôter précipitamment le tout,
au lieu de profiter au ralenti de cette éclosion, de cette libération des deux
seins encagés qui, une fois l’agrafe scindée en deux, se rendent lâchement à la
pesanteur, s’abandonnent, une demi-aréole brune pointant par-dessus la dentelle
du bonnet, comme un soleil de nuit émergeant de la blancheur, les bretelles
glissant lentement sur les bras pendant que les épaules semblent vouloir se
faire toutes petites, se rétractent comme pour se glisser dans un passage
étroit, s’extrayant par une contorsion d’illusionniste chevronné de cette
cangue de tissu satiné, provoquant au passage une compression du sillon central
des seins, les bras se libérant l’un après l’autre – et, avant même
de creuser la paume de la main pour y nicher ces perles d’eau jumelles, que
coûterait de détourner un instant son attention vers le soutien-gorge à terre,
le délaissé, comme un cocon rejeté par les ailes du papillon, si riche pourtant
des promesses tenues. Et ce n’est qu’un exemple. Vous imaginez la suite.
    Et donc on s’en veut. On aimerait revenir en arrière, se
repasser le film de la soirée, au ralenti, avec arrêt sur image, en se
dédoublant, en sortant de son corps, ceci, autre exemple, afin de jouir des
jambes de la belle allongée ceinturant votre taille, ce qui vous a forcément
échappé, cela se passant dans votre dos, et d’ailleurs dans le même temps vous
plongiez vos yeux dans ses yeux écarquillés. Or c’était forcément du joli. Et
ainsi mille choses délicieuses. A revoir, donc. Et la meilleure façon, à défaut
de trouver la clé qui remonte le temps, c’est d’y revenir.
    C’est pourquoi le lendemain (alors que la nuit précédente a
été courte : la lectrice, craignant d’être surprise, vous a renvoyé sur
les coups de deux heures, si bien que n’étant pas autorisé à allumer dans la
cage d’escalier vous avez même fait craquer la fameuse marche, la cinquième,
pourtant ce n’était pas faute qu’elle vous ait prévenu, et

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