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le monde à peu près

le monde à peu près

Titel: le monde à peu près Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Rouaud
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compter jusqu’à cinq
ce n’est en principe pas sorcier, mais sans doute êtes-vous parti du mauvais pied)
vous revenez. Il ne vous souvient plus de quoi vous étiez convenus en vous
quittant : nous revoyons-nous, oui, non, peut-être, demain, un autre jour,
ou demanda-t-elle à réfléchir ? Pour vous, pas besoin de se torturer les
méninges : c’est tout vu – un goût de revenez-y. Pourtant vous
doutez un peu à mesure que vous vous approchez de la grande demeure en pierre,
frissonnant dans votre caban marine qui n’a pas eu assez de quelques heures
pour sécher, car le retour nocturne s’est fait pédestrement, sous la pluie,
faute de bus à cette heure, quant à prendre un taxi vous n’y êtes pas du tout.
Et si l’accueil n’était pas à la hauteur de vos espérances ? Si vos deux
pensées un moment conjointes avaient bifurqué au lieu de cheminer de
concert ? Mais non, vous n’avez pas rêvé, tout de même.
    Vous n’avez pas rêvé, vous posez pour vous en assurer une
main sur votre épaule endolorie par la morsure féroce de la belle, mais il
apparaîtra bientôt que la nuit n’a pas porté à chacun le même conseil. Il ne
vous reste plus longtemps avant que s’envolent vos illusions. Le temps que Théo
descende ouvrir la porte après que vous avez appuyé sur le petit bouton de
cuivre encastré dans sa couronne de marbre, et qu’elle vous découvre,
s’étonnant, la mimique boudeuse : ah, c’est toi. Bien sûr, qui
d’autre ? Eh bien, par exemple, celui-là que vous n’avez pas vu arriver
sur vos talons et auquel par-dessus votre épaule elle adresse un large sourire,
comme si soudain vous étiez devenu transparent. Alors vous vous retournez et à
la seconde vous le détestez. Eût-il fait bonne figure en croisant votre regard
que vous l’eussiez détesté tout autant pour ce sourire à lui adressé, mais il a
l’extraordinaire aplomb de vous considérer vous-même comme un parfait intrus,
et de haut (il profite honteusement de vous dépasser d’une tête), car enfin qui
est arrivé le premier, et des deux, qui est l’importun, l’imposteur,
l’incroyablement sans-gêne, le non-respectueux de la préséance ? Et ce
n’est pas sa figure d’angelot, chevelure bouclée yeux clairs, qui me ferait lui
donner le bon Dieu sans confession. Encore que, le bon Dieu, qu’il le prenne,
quelques leçons de morale assenées par le Maître ne pourraient que lui faire du
bien, mais Théo ? Et Théo, pourquoi continue-t-elle à lui sourire chaque fois
que leurs regards se croisent, au lieu qu’elle me réserve une mine de
pleureuse, cet air d’éternelle suppliciée dont j’avais entrepris de panser une
à une les plaies ? Quel est ce charlatan, cet homme-médecine, qui lui
redonne le sourire, pendant que je suis là à tenir la chandelle ? Elle me
présente Diego. Un ami espagnol, se croit-elle obligée de préciser.
    Bien sûr, avec un nom pareil, mais je ne me souvenais pas
qu’elle l’eût cité dans sa seconde confidence parmi ses
prétendants – ou dantes. Au milieu des prénoms vernaculaires, une
touche exotique ne m’aurait pas échappé. Or elle n’avait pas eu matériellement
le temps de le sortir ex nihilo de son chapeau dans la matinée, et ce n’est pas
moi qui l’avais fait miraculeusement apparaître comme un mauvais génie en
appuyant sur une sonnette. Elle avait donc cherché délibérément à me le cacher.
La troisième confidence ? Mais était-ce vraiment honteux d’avoir un
amoureux d’outre-Pyrénées ? Ou alors, je ne voyais pas d’autre solution,
c’était un petit-fils de Franco. Du coup, tout s’expliquait. Pas de quoi se
vanter, en effet. Avouer une telle forfaiture devant un compagnon de route de
la cause mongo-aoustinienne, c’était se condamner à comparaître devant un
tribunal du peuple – et pas tendre, le peuple, avec les ennemis de
classe. Sûr, elle risquait gros : interdite de cellule ou quelque chose de
ce genre.
    Il y avait pourtant un point qui me chiffonnait. Honteuse
peut-être, mais elle semblait y tenir, à son phalangiste, s’excusant auprès de lui
d’un regard attendri tandis qu’elle me prend par le bras et m’entraîne à
l’écart sur le trottoir, m’expliquant qu’elle veut m’expliquer. Quoi,
Théo ? Je ne suis pas idiot, je n’ai pas les yeux dans ma poche, j’ai beau
ne pas y voir très clair, je ne suis pas aveugle tout de même. Libre à toi de
te compromettre avec les garrotteurs, la

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