Le nazisme en questions
avec leurs demi-mesures » (257).
Note
26 . Les citations sont tirées de Mon combat , Nouvelles Éditions Latines, 1934.
V
ÉTAIT-IL UN DICTATEUR ABSOLU ?
Le Führer dans le système nazi
Chaque mois de septembre, de 1933 à l’éclatement de la guerre, le cœur de l’Allemagne battait à Nuremberg. Là, aux portes de la ville médiévale, le nazisme triomphant fêtait ses victoires et s’exaltait pour de nouvelles batailles. Au centre de ces spectaculaires cérémonies, un homme, qui célébrait la grand-messe de la nouvelle Allemagne devant des partisans accourus du pays entier. À le voir à la tribune, dominant en uniforme les colonnes impeccablement ordonnées et prêtes à s’ébranler sur un signe de lui, qui aurait pu douter que l’Allemagne avait retrouvé force et confiance en se donnant un chef absolu ? Un chef qu’elle était prête à suivre au bout du monde ?
Hitler était devenu le maître du pays et la plupart des Allemands le suivraient au bout de la défaite. Quoi d’étonnant alors que Nuremberg soit devenu la manifestation symbole du régime nazi ? Pour le grand public, mais aussi pour la plupart des historiens, Hitler a été ce dictateur absolu que l’on voit à l’écran, maître d’une organisation dévouée et disciplinée.
À l’époque déjà, il est vrai, certains en jugeaient différemment et se refusaient à reconnaître dans ces spectacles autre chose que le produit d’une propagandecaptieuse. Au premier rang de ces sceptiques se trouvaient les marxistes, dont l’idéologie mettait fondamentalement en cause le rôle des « grands hommes » dans l’histoire. Hitler était à leurs yeux une marionnette dont les gros capitalistes tiraient les ficelles ; et son régime, une machine à engranger les profits par tous les moyens, y compris par la mise en esclavage de l’Europe entière.
L’historiographie soviétique a perpétué jusqu’au bout cette thèse. Puisque tout s’explique par le motif économique, il faut donc que les Juifs aient été exterminés pour être dépouillés de leurs biens, sans excepter leurs dents en or.
Incomparablement plus féconde, tout en trouvant elle aussi son fondement dans le marxisme, fut l’approche d’un exilé allemand, Franz Neumann, dont l’ouvrage Béhémoth , écrit au début de la Seconde Guerre mondiale, présentait un régime en double fond. En façade, le déploiement rutilant d’un pouvoir monolithique soumis à un chef absolu ; en coulisse, l’exercice brutal et anarchique de la loi de la jungle entre quatre puissances : la bureaucratie étatique, l’armée, l’industrie, le parti nazi.
Chacune de ces forces encadrait et contrôlait la population grâce aux pouvoirs considérables qu’elle détenait. Chacune dans son domaine émettait des règlements, les faisait appliquer, disposait d’un appareil judiciaire plus ou moins développé pour frapper les contrevenants. En lieu et place de l’État traditionnel, il existait ainsi quatre États semi-autonomes, aux prises les uns avec les autres dans une impitoyable lutte pour le pouvoir.
Au milieu de tout cela, que pouvait bien peser Hitler,même s’il jouissait d’une légitimité charismatique reconnue par tous ? Pour Neumann, son pouvoir résidait avant tout dans la sanction qu’il donnait aux compromis passés entre les forces qui s’empoignaient hors du cercle des projecteurs.
Après avoir connu une longue éclipse, ce point de vue inspire, depuis une trentaine d’années, un certain nombre d’historiens (citons avant tout Martin Broszat et Hans Mommsen), dont les travaux ont provoqué, pendant les années 1970 en particulier, un débat animé, sinon passionné. C’est alors qu’a été appliquée l’étiquette sous laquelle sont connus, depuis, les deux courants historiographiques.
D’une part, les intentionnalistes, pour qui l’histoire du III e Reich est en substance celle de la montée en puissance d’un chef absolu possédant un programme précis qu’il entreprend de réaliser méthodiquement ; programme au premier plan duquel figurent la conquête de l’espace vital et l’« éloignement » des Juifs. De l’autre, les fonctionnalistes, qui refusent de ramener l’histoire du III e Reich à l’application par un homme d’un programme établi à l’avance, et qui soulignent la nature éclatée, sinon chaotique, d’un système de pouvoir difficilement maîtrisable, même pour Hitler.
La recherche historique
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