Le nazisme en questions
Hitler détenait-il des pouvoirs étendus, plus étendus peut-être que ceux possédés par tout homme d’État dans le passé. Mais cela ne suffit pas à faire de lui un dictateur gouvernant de façon omnipotente. Les fonctionnalistesretrouvent ici le sillon ouvert par Neumann, mais ils le reprennent en lui donnant une direction légèrement différente. Ainsi pour Martin Broszat, leur chef de file, ce qui limite le pouvoir de Hitler, ce n’est pas en premier lieu l’influence de certaines forces socio-politiques. Hitler est moins le prisonnier de l’industrie ou de l’armée que celui du mode de fonctionnement de son régime. Car si son pouvoir a grandi de façon impressionnante, cela s’est fait au prix d’une incroyable désorganisation et décomposition de l’ordre étatique.
Parmi les conservateurs qui avaient soutenu le mouvement nazi ou s’étaient ralliés à lui, beaucoup souhaitaient la restauration de l’État prussien autoritaire, un État débarrassé de l’influence brouillonne des partis et fonctionnant de façon rationnelle et unitaire. Hitler ne manqua pas d’encourager ces aspirations, mais, une fois en selle, il se comporta d’une manière qui devait produire des résultats diamétralement opposés. Un observateur au fait du fonctionnement du parti nazi aurait sans doute pu le prévoir. Car ce qui se produisit n’était que la transposition à l’État du style de direction qui avait d’abord été appliqué au parti.
Hitler n’avait jamais manifesté de goût pour l’organisation ni pour l’administration. De vieilles habitudes de bohème le détournaient de l’étude des dossiers et de la gestion des affaires du parti. Il n’intervenait que lorsqu’une question lui apparaissait urgente ou grave, laissant généralement décider les responsables qu’il avait désignés. Sa pratique était de faire de larges délégations de pouvoir en fonction des problèmes qui se présentaient et des hommes qu’il voulait promouvoir. La conséquence en était le chevauchement des nouvellescompétences avec celles qui avaient été antérieurement distribuées, ce qui provoquait d’incessants conflits et entretenait des rivalités permanentes entre des lieutenants avides d’obtenir de leur chef plus de confiance, et donc plus de pouvoir.
Ces tendances centrifuges s’opposaient naturellement à toute gestion rationnelle et centralisée du parti. Au siège de Munich, il n’existait pas de direction collégiale, et même la coordination du travail entre les Reichsleiter, les responsables des différents services nationaux (organisation, propagande, trésorerie, etc.), était chose ardue. De plus, entre ces derniers et les dirigeants régionaux – les Gauleiter –, les tiraillements étaient constants, faute d’une hiérarchie nettement fixée, les seconds ayant tout autant que les premiers le droit d’en appeler à Hitler en cas de conflit. Tout tournait donc autour d’un Führer à la fois omniprésent dans l’esprit de ses lieutenants et éloigné de la gestion quotidienne ; le lien personnel qui existait entre lui et chacun d’eux donnait seul une armature à l’ensemble. Les mêmes causes allaient produire les mêmes effets une fois le pouvoir conquis, et la victime en fut l’État dont l’unité administrative allait progressivement voler en éclats. Le gouvernement en tant qu’organe collégial perdit rapidement toute signification ; à partir de 1938, il ne fut même plus réuni. Les ministres devinrent de simples organes d’exécution de la volonté du Führer, mais comme celle-ci était souvent exprimée en termes très généraux et qu’il n’existait plus d’organisme de coordination, chacun tendit à mener une politique autonome en légiférant dans son domaine de compétence et en s’efforçant de défendre et de promouvoir ses intérêts contre tous les autres.
La chose était d’autant plus nécessaire que, parallèlement, surgissaient sur les marges de l’État de nouveaux organes administratifs. Comme par le passé, Hitler faisait accomplir les nouvelles missions qu’il estimait importantes en créant des organisations ad hoc dont les responsables n’avaient à répondre de leur activité que devant lui. Dès 1933, la nomination de Todt comme « inspecteur général chargé des routes allemandes » inaugurait cette pratique des pouvoirs étatiques spéciaux. D’autres suivirent, tels ceux accordés au chef du Service du travail et au chef
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