Le nazisme en questions
parlé s’en ajoute un autre, informel et formidable, celui de l’opinion. La popularité de Hitler est un fait avéré, une popularité qui va croissant avec les succès du régime et que les revers de la guerre n’entameront que lentement et partiellement ; une popularité qui confine parfois à l’adoration religieuse et à la confiance mystique, et qui lui est réservée à lui seul : le gouvernement et surtout le parti concentrent sur eux un mécontentement quasi général. Il importe peu que cette popularité s’alimente des motifs les plus divers, des attentes les plus opposées, qu’elle n’ait pas grand-chose à voir avec les ambitions et les dispositions de celui qui en est le bénéficiaire 28 . Hitler se trouve doté en proportion d’une liberté d’action dont il tirera parti.
Que dire alors de ces puissances mises en relief par Franz Neumann ? En vérité, loin de constituer des centres de pouvoir autonomes, elles se révélèrent de dociles instruments de la politique hitlérienne. Le partin’a jamais représenté une force indépendante de la volonté de son chef. Même le dirigeant de la SA, Röhm, se garda bien de mettre en cause l’autorité de Hitler ; il prétendait au contraire, en réclamant une seconde vague révolutionnaire, être le fidèle interprète de ses desseins. La bureaucratie étatique, pour sa part, accomplit son travail avec un zèle qui ne fléchit pas, et l’on ne voit pas qu’elle ait jamais fait obstacle à la réalisation des grandes entreprises du régime, Solution finale comprise.
Quant à la grande industrie, si elle trouva effectivement son compte dans le réarmement, puis dans l’exploitation de l’Europe occupée, elle le paya d’une perte d’influence croissante sur la politique du régime ; invitée à prendre sa part du butin, elle n’avait plus voix au chapitre.
L’armée, enfin, qui prêta serment à Hitler en août 1934, passa de plus en plus sous son contrôle direct. Quelques officiers supérieurs entrèrent en dissidence et nouèrent des complots, dont l’un éclata au grand jour en juillet 1944. Mais, dans l’ensemble, Hitler n’eut guère de peine à imposer son autorité. La décision de lancer l’offensive contre la France après la campagne de Pologne fut prise en dépit des réticences des chefs militaires. Et dans le climat d’euphorie créé par les victoires de l’an 40, la Wehrmacht allait se laisser entraîner à cautionner, et même à épauler, la politique criminelle du régime à l’égard des populations d’Europe orientale, en particulier des Juifs.
Il serait absurde pour autant, et les intentionnalistes ne le font aucunement, de prétendre que le pouvoir de Hitler était sans limites. Toutes ces forces gardèrent une influence et une importance substantielles, et il est clair que, aux yeux de Hitler lui-même, le risque demeura enpermanence, sinon d’un retournement, du moins d’un décrochage de certains secteurs du régime ou de certaines couches de la population. Le Führer était hanté par la dislocation qui s’était produite entre le front et l’arrière en 1917-1918 et il eut constamment le souci d’atténuer les charges que la guerre faisait peser sur la population allemande, notamment en les reportant sur les peuples occupés.
De même, il évita d’engager l’épreuve de force avec les Églises qui, en dépit de leur soumission, conservaient un poids considérable. Lorsque le parti, qui brûlait de détruire des rivales détestées, lança en 1941 une nouvelle campagne de persécution, Hitler la fit stopper pour ne pas perturber l’effort de guerre. En été de la même année, il se trouva confronté à l’opposition grandissante manifestée par certains prélats envers l’extermination des malades mentaux, ce qui l’amena à mettre fin à l’entreprise (l’attitude des Églises sur ce point rend d’autant plus frappant leur silence lors de la déportation des Juifs quelques mois plus tard).
Jusqu’au bout, en somme, Hitler dut évaluer ses possibilités d’action et ménager des forces sur lesquelles son emprise demeurait partielle, sinon superficielle. Il n’en reste pas moins que, selon le jugement des intentionnalistes, il était en mesure de diriger son régime avec une liberté d’action sans précédent. Et c’est bien ce qui justifie que l’on parle de ce régime comme d’une monocratie, comme du pouvoir d’un seul.
Sans doute, répondent les fonctionnalistes,
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