Le neuvième cercle
bouillonnantes. Il fallait traverser le pont. À l’entrée, une chicane avec des Feldgendarmes demandant que les responsables reconnaissent au passage leurs concitoyens. J’étais cuit ! Tristement, je regagne le maquis d’où je vois le convoi franchir le pont et disparaître.
— Inutile d’envisager de traverser la vallée à la nage. Bien que bon nageur, je ne me sentais pas capable, dans mon état de faiblesse, de traverser ce grand lac, ni d’affronter les tourbillons écumants du torrent. L’eau provenant de la fonte des neiges devait être glaciale. Inutile et imprudent de chercher un passage vers l’aval, dans cette plaine où devaient se trouver beaucoup de troupes. Vers l’amont, combien de kilomètres à faire pour arriver au bout de cet immense réservoir d’eau ? Dans ma cachette, je ruminais ces problèmes et la nuit tombée, ne sachant que faire ni où aller, je reste tapi dans mon fourré. J’avais quelques provisions qui me permettaient de tenir un temps et j’espérais voir partir, rapidement, les gendarmes du contrôle sur le pont ! Sommeillant je suis réveillé dans la nuit par un piétinement et des cris. C’était un convoi de quelques centaines de déportés venant de l’est et allant, misérables, vers quelle destination ? Qu’importe, avec eux je pourrai traverser le pont. Je me glisse donc dans la colonne après m’être débarrassé de mon beau chapeau trop repérable. Comme depuis des semaines j’avais réussi à éviter la tonte des cheveux à Melk, j’avais une chevelure normale et surtout je n’avais pas l’« autostrade à poux », c’est-à-dire le coup de tondeuse obligatoire allant du front à la nuque et qui, au premier coup d’œil, indiquait la qualité de pensionnaire d’un Konzentrationlager. À Melk, j’avais pu, sans difficulté, me promener ainsi (mais avec une coiffure). Dans le convoi, il était absolument indispensable que je retrouve une autre coiffure. Ce fut facile de troquer une mützen crasseuse contre un peu de nourriture. Cette casquette était pleine de poux qu’évidemment j’ai aussitôt récupérés.
— Sans difficulté, on traverse le pont, mais au-delà, impossibilité de quitter la colonne, le jour étant levé et la garde, renforcée par des chiens. On a marché ainsi et j’avais toujours l’espoir de m’échapper à la première occasion. Je souhaitais avidement la venue d’avions dispersant nos gardiens. Hélas ! rien ne vint. Et ainsi l’on arrive subitement devant l’entrée d’un camp où nous pénétrons. C’était Ebensee où les camarades, venus par le train, étaient depuis plusieurs jours. Ce qu’ils ont pu me mettre en boîte !
— « Avoir connu de telles émotions, de telles fatigues, avoir couru de tels risques, etc., pour en arriver au même point qu’eux. »
— Qu’importe ! La promenade, l’air de liberté que j’avais respiré, valaient bien tout cela !
Gusen I, Gusen II, Loibl-Pass, Melk ne sont pas les seuls « bagnes sans importance » de l’empire Mauthausen. Gross-Raining, Ebensee, Redl-Zipf, Modling, Wiener Neudorf, Schwechat, Florisdorf, Linz, Steyr ont connu des existences différentes, d’autres souffrances, d’autres crimes, d’autres espoirs.
La suite du Neuvième Cercle , consacrée aux autres kommandos de Mauthausen, paraîtra sous le titre Des Jours sans Fin et constituera le troisième et dernier tome de Mauthausen .
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