Le neuvième cercle
de voir autant de monde, la culotte baissée, assis sur la barre de 5 ou 6 mètres derrière laquelle, sur la même longueur et sur un mètre de large, une fosse se remplit lentement des défécations des malades. Un Italien, maigre et dysentérique, ne s’est pas levé comme les autres s’enfuyant la culotte à la main, sous les coups de bâton. Houli l’a attrapé par les pieds et l’a balancé dans la fosse. Le malheureux s’en est tiré difficilement pour aller se laver à l’eau glacée qui suinte de la mine et arrive canalisée jusqu’à l’extérieur. Il fut obligé de remettre ses vêtements humides sur lui. Il mourut deux jours après au Revier.
— Mais voilà le moment d’aller chercher le papier qui nous sert de chaussettes. Nous nous dirigeons vers la bétonneuse, nous déchirons des sacs de ciment vides que nous cachons sous notre veste pour revenir.
— Je rencontre alors un vieux camarade parisien, Michel Wallaert, avec qui je collais des affiches du Parti socialiste au cours de la campagne électorale de 1936. Il est prisonnier de guerre. Chose curieuse, je l’ai rencontré en 1940, à Blamont en Moselle, alors qu’il conduisait un autocar et que j’étais caporal cuisinier au 19 e bataillon de chars, commandé par le colonel de Gaulle. Maintenant, Michel me rend de grands services. Il donne de mes nouvelles à Paris, car il peut correspondre plus souvent que nous. Il me donne des cigarettes venant d’un colis américain et des « chaussettes russes » qui remplacent, pour quelque temps, les papiers qui enveloppent mes malheureux pieds. Mais nous sommes prudents et je vais le voir à sa machine avec tout mon attirail d’électricien qui me sert de « laissez-passer ». Je fais semblant de bricoler sur une lampe et ainsi nous pouvons parler sans trop de risques. Aujourd’hui, il me dit ce seul mot : « demain ». Je ne manquerai pas le rendez-vous.
— À midi, c’est la soupe. La lumière coupée trois fois de suite prévient tout le monde jusqu’au fond. Chacun arrive, sa précieuse gamelle à la main. C’est, parait-il, de la soupe aux haricots.
— Les bouteillons sont là, alignés, et nous, derrière, attendons en colonne. Le kapo hongrois sert à droite, le kapo polonais à gauche. Le Hongrois a un meilleur coup de louche, tout le monde le sait. Et tout le monde est de son côté. Mais le bouteillon du kapo polonais est incontestablement plus épais. Sa file va se renforcer sans qu’il ait besoin de schlague. Carette passe avec lui, moi avec le Hongrois. La soupe est vite savourée, elle n’est pas mauvaise, mais beaucoup trop liquide ; je compte combien de haricots sont au fond de ma gamelle : dix-huit. Carette arrive tout fier. En effet, la sienne est beaucoup plus belle : elle a bien cinq ou six cuillerées de haricots.
— C’est fini, les gamelles sont léchées, il faut regagner le travail et les surveillants nous chassent à coups de bâton. Nous montons sur notre observatoire et nous voyons, la faim tirant notre estomac, les kapos et les surveillants happer de pleines cuillerées de haricots… Il y a toute une science pour distribuer la soupe, et les kapos l’apprennent vite. Voici la tactique : ne pas trop remuer, servir le liquide qui se trouve au-dessus et, quand on arrive à la fin, passer au bouteillon suivant en gardant le fond pour soi. Quand, repus, il reste encore de la bonne soupe, ils vont la vendre deux ou trois cigarettes à un camarade affamé et non fumeur.
— Mais le temps passe vite, encore quelques réparations à effectuer et c’est la fin du travail à 14 heures.
— Au rassemblement, il manque deux camarades : Houli est déchaîné. Il frappe les uns et les autres sans regarder les nationalités, lui qui, généralement, ménage les Français. Les kapos sont lancés à la recherche dans les galeries. Ils reviennent une demi-heure après. Ce sont deux malheureux Juifs hongrois qui se sont endormis dans une galerie désaffectée. Houli se précipite sur eux et leur casse, successivement, deux bâtons sur la tête ; ils tombent tous deux. L’Oberkapo leur lance de grands coups de pied dans le ventre et en pleine figure. Le sang gicle. Ils ne poussent plus de cris. Il faudra les porter jusqu’au camp. En arrivant, il n’y aura plus qu’à les transporter au Revier, à la salle basse, avec les cadavres ? Le Posten et les Feldwebel ont assisté au drame. Un Feldwebel leur a donné également quelques coups avec
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