Le neuvième cercle
fragile carcasse. Les kapos y sont de cyniques assassins.
— Carette et moi, nous nous dirigeons vers les « spécialistes ». C’est un des meilleurs kommandos qui n’a pu nous embaucher qu’après des mois de travaux divers : poseurs de rails qui se disputent, accusent l’« autre » de ne pas porter, boiseur et porteur de troncs d’arbre, pousseur de wagonnets, à la chaîne, sous les coups, en équipe avec des gars épuisés et amorphes, brouetteur dans les galeries basses, cela vous brise les reins, mineur travaillant au marteau pneumatique. Nous connaissons tout cela. Nous avons tout fait, sauf le kapo.
— Beaucoup de nos camarades qui se trouvaient avec nous au début des travaux sont morts d’épuisement. Les « anciens » dont nous sommes, ont pris les meilleures places disponibles avec le développement des travaux.
— Je vais chercher ma lampe à carbure au magasin pendant que Carette se débrouille, à la forge, pour trouver des colliers indispensables au raccordement des tuyaux d’air comprimé.
— Équipés, nous nous dirigeons vers le fond de la A. Les galeries latérales bétonnées et claires sont équipées industriellement avec de grosses machines qui tournent des roulements à bille. L’entrée nous est interdite. Nous allons plus loin, au fond. Là où l’on attaque le sable dur au marteau piqueur, où l’on élargit les galeries creusées primitivement, où l’on monte les carcasses de fer qui enchâssent les panneaux de bois destinés à maintenir le béton et une voûte invulnérable aux bombardements.
— Je suis électricien, chargé du prolongement des lignes au fur et à mesure des avances, chargé également des réparations de toutes sortes : court-circuit dans les armatures de béton et surveillance des tapis roulants qui portent le sable au déversoir à l’extérieur. Que la lumière s’éteigne, que le tapis s’arrête, c’est le branle-bas. Il faut trouver la cause et réparer en vitesse. Si la réparation tarde, le Meister civil n’hésitera pas à donner une volée de coups de canne ferrée et le surveillant S.S. ira de ses vingt-cinq coups sur les fesses si, à ce moment-là, occupé au fond d’une galerie, je ne m’aperçois pas rapidement de la panne.
— Carette est « Schlosser ». Il est chargé du bon fonctionnement et des réparations de la tuyauterie qui distribue l’air comprimé aux marteaux piqueurs. Étudiant en droit, il a su s’adapter parfaitement et il se débrouille suffisamment pour ne pas avoir trop d’ennui.
— Nous montons sur une plate-forme de sable où l’on peut surveiller les arrivants et répondre si l’on appelle : « Electrika » ou « Schlosser ».
— Je profite d’un moment de liberté pour essayer de crever un phlegmon qui m’embête au pied droit et mettre sur mes plaies un peu de ce papier propre qui enveloppe les ampoules électriques.
— Avec un clou j’essaie en vain de crever cette boule noire. Mais c’est seulement deux jours après que le soulagement arrivera, quand un camarade me marchera dessus au retour du travail.
— Tiens voilà Germain ! C’est un électricien civil français, requis à Figeac dans le Lot où j’ai de la famille qu’il connaît. Pour une autre firme, il surveille l’électricité de la galerie A. Je lui laisse d’un commun accord le travail le plus difficile. Il nous donne quelques informations recueillies à Vienne, où il a été dimanche. Il nous parle des effets des bombes au phosphore, les nouvelles militaires ne sont pas celles que nous attendons. Cela ne va pas vite. Les V.1 moi je n’y crois pas. C’est de la propagande allemande. Je suis persuadé d’autre part qu’Hitler est mort au cours de l’attentat de juillet.
— Il nous parle de son amie, une Russe, dont il est emballé. Elle est infirmière pour les ouvriers requis au chantier. Il faut parler avec des « civils » pour aborder une telle conversation. En enfer, l’amour n’a pas d’attrait.
— Mais des cris attirent notre attention. Germain va voir en éclaireur. Il nous raconte, à son retour : c’est l’Oberkapo tzigane Houli qui assomme à coups de bâton un Russe surpris à échanger ses vêtements contre ceux d’un civil. D’après la description, la victime d’Houli est touchée à mort. Carette nous raconte alors que tout à l’heure il a vu Houli arriver aux cabinets construits de quelques planches à l’extérieur de la mine. Il était furieux
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