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Le pas d'armes de Bordeaux

Le pas d'armes de Bordeaux

Titel: Le pas d'armes de Bordeaux Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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les crottins du dehors, de sorte qu’il flottait une odeur de sueur et d’écurie. Nul ne s’en souciait. Dans l’ébrasement des fenêtres ouvertes ou fermées, les visiteurs s’entretenaient à voix basse. Parfois, un rire venait pimenter quelque conciliabule et des faces graves se tournaient. Certaines exprimaient un reproche léger, d’autres souriaient : le prince était revenu et la gaieté était permise.
    Calveley connaissait la plupart des visiteurs. Il leur adressait çà et là un clin d’œil, un geste, un signe amical de la tête, mais demeurait auprès de son otage comme s’il craignait non pas qu’il ne s’enfuît, mais qu’il fut exposé à la curiosité, peut-être aux molestes 21 ou moqueries de ses pairs.
    – Je ne sais si tu te retrouveras un jour au service de Guesclin. Sache qu’il paraît content d’avoir à débourser une rançon immense.
    – Il ne versera pas un sou parce que le roi Charles paiera. Le Breton le sait et s’en réjouit.
    – Qu’importe !… Le prince a besoin de reconstituer son trésor. Il enrage : Pèdre l’a enquinaudé, trahi. Cela, tu le sais aussi bien que moi.
    Ce qu’ils savaient aussi, c’était que l’attente serait longue. Vingt seigneurs avant eux espéraient obtenir quelques moments d’entretien avec « monseigneur Édouard ». Également certains créanciers, assis ensemble sur un banc, tous maussades, les uns porteurs de cédules roulées, les autres de liasses de parchemins dépourvus du moindre sceau. Il y avait même, sinuant entre les guerriers, un frère prêcheur au froc et à la capuce de bure élimés dont les mains blanches égrenaient un chapelet de noyaux d’olives. Sans doute était-ce un Espagnol.
    – Tu les as bien vus ? Certains prud’hommes portent une œillère. Ils se cachent un œil par vœu, nullement par nécessité. Te l’ai-je dit ? À Kadsand ou si tu préfères à l’Écluse, les Franklins durent nous prendre pour une armée de caliborgnes car presque tous nos chevaliers avaient un œil occulté pour le plus grand honneur d’une dame : Chandos, Holland, Audeley et moult autres. Sur mon âme qu’on dit aussi épaisse et noire qu’une orbière de mule ou de cheval, j’aime à voir de mes deux yeux, moi… Tiens, là-bas, c’est Chandos… Il a le droit, lui de porter l’œillère. Son œil dextre, il l’a perdu lors d’une chasse. Mais le senestre est bon et il ne craint pas de jouter ainsi. S’il t’attrempe 22 au bout de sa lance, c’en sera fait de toi…
    Grand, droit comme un vouge, vêtu de noir ainsi qu’un bourgeois endeuillé, Chandos était fier de ses cheveux grisonnants, touffus et moutonnés. Son pas sûr, lent, calculé, n’avait d’autre nécessité que de faire tinter ses éperons d’or aux molettes taillées en soleil rayonnant. Il avait le profil d’un busard. Glabre des joues et du menton, sa moustache presque noire encore tombait droit des commissures de ses lèvres jusqu’à ses maxillaires inférieurs, à l’imitation de celle du prince. Avait-il été beau jadis ? C’était probable. Sur son visage épais où les cicatrices et les rides se confondaient, la rondelle de soie noire qui dissimulait son orbite creuse l’apparentait à ces capitaines de la mer dont les batailles acharnées faisaient des éclopés quelquefois effrayants.
    – Sa face de maintenant semble faire la nique au visage d’antan…
    – C’était le plus bel homme d’Angleterre. Une espèce de dieu de la guerre. Un chevalier sans tache, d’excellent conseil. Il ob tint et consolida sa renommée à Crécy, Wesinsé 23 , Poitiers, Auray… Invincible et courtois, il lui manque…
    « Un crochet au bout d’un bras », songea Tristan cependant que le preux écarquillait son œil unique et marchait à la rencontre de Calveley.
    – Ah ! Hugh, s’écria-t-il en serrant le géant dans une étreinte violente. Quel plaisir de te revoir ainsi… Cette nuit, j’ai bien cru que tu roulerais sous la table…
    L’œil brillait, bleu comme un acier de bonne trempe, sous un sourcil frémissant.
    – C’est ton Français… Je vous salue, messire.
    Tristan s’inclina, mais à peine. Sa courtoisie sans apprêt parut satisfaire les deux Anglais.
    –  Comme je te l’ai confié, Chandos, je veux savoir Castelreng libre puisqu’il est ma prise de guerre. Or, le prince s’y oppose. Tu connais comme moi l’histoire de ce rapt avorté au château de Cobham, il y a six ans.
    – Certes. On

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