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Le pas d'armes de Bordeaux

Le pas d'armes de Bordeaux

Titel: Le pas d'armes de Bordeaux Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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précipité…
    « Holà ! » songea Tristan, « ce grand homme veut nous faire prendre des vessies pour des lanternes ! »
    –… je n’ai cessé de me courroucer comme le Bertrand maintenant.
    – Et pour vous libérer, messire, dit Tristan, vous avez prêté hommage au roi de France.
    –  Prêté , c’est cela, dit Jean de Grailly en souriant dans sa barbe où brillaient quelques poils blancs. Et je lui ai rendu hom mage, si vous le voulez ainsi. Je m’étais entremis avec les deux reines Blanche et Jeanne pour que la paix règne entre la France et la Navarre 24 . Nous y sommes parvenus et le roi m’en sut bon gré. Toutefois, au-dessus de cela, j’ai placé le prince Édouard. Il est mon ami. Alors, comprenez-vous…
    – Je comprends, dit Tristan, que vous avez trahi votre serment. J’étais à Cocherel.
    – Il me le semblait bien, dit le captal, les yeux soudain écarquillés. C’est vous qui, avant la bataille… Vous étiez le truchement de Guesclin !
    Le ton montait. Tristan sentit la main de Calveley sur son épaule.
    – Holà ! Vous deux, chuchota le géant. S’il vous faut vous entre-battre, sachez qu’on vous apprête un champ pour dimanche, en bordure de la Garonne.
    Tristan s’apaisa. Il ne déprisait pas Jean de Grailly. Il ne lui reprochait que son ingratitude envers un roi tantôt matois, tantôt naïf, auquel il demeurait déraisonnablement fidèle. Il lança un regard aussi prompt qu’un jet de sagette sur ce chevalier de quarante ans 25 dont on disait qu’il était l’amant de la reine Jeanne, troisième épouse et veuve de Charles le Bel, son aînée de plus de dix ans. Bien qu’il fût vêtu avec simplicité, il avait conservé sa cotte d’armes de lin blanc frappée de ses armes : d’or à la croix de sable chargée de cinq coquilles d’argent. Sur le devant de son chaperon noir, un rubis épanchait une larme de sang.
    – Je constate, messire, que vous êtes changeant comme une girouette… et comprends pourquoi vous avez substitué une tête de More pourvue d’oreilles d’âne au célèbre hasterel d’autruche de votre heaume 26 .
    Calveley s’esclaffa et retint la main que le captal avait portée à son épée. La voix de l’offensé gronda ; ses yeux noirs, glacés, riboulèrent dans une face pâle, soudainement immobile, d’où le courroux s’évapora aussi promptement qu’il y était apparu :
    – Messire, vous me rendrez raison dimanche… Je ne conçois pas, Hugh, ton amitié pour ce falourdeur… Je vais prier le prince, vous, le Français, de vous autoriser à courir des lances !
    – C’est moi, dit Calveley, qui vais le lui demander. Castelreng est mon otage. Prends garde, Jean… Par amitié, je t’en préviens : ce chevalier, quoique jeune, est solide… Alors, avant que d’entrer en lice, offre-toi une grosse lippée bien arrosée en ton hôtel. Le vin ne te manque point, que je sache 27  !
    – J’en boirai ! s’exclama Grailly, le souffle court.
    Tudieu, Hugh j’en boirai ! Et si j’avais à abreuver cet homme, son hanap, par ma foi, serait plein d’oxycrat 28  !
    – Par ce temps-là, je m’en rafraîchirais la gorge.
    Le captal haussa violemment les épaules et rejoignit Guichard d’Angle et Robert Knolles auxquels, visiblement, il conta l’escarmouche.
    –  Ils se retournent sur toi. Tu t’es fait un ennemi mortel. Peut-être plusieurs. On ne saurait se truffer ainsi du connétable d’Aquitaine.
    Tristan se demanda jusqu’à quel point Calveley jugeait reprochable une humeur parfaitement légitime. Certes, il s’était conduit effrontément : flétrir la déloyauté d’un homme tel que le captal constituait une hardiesse d’autant plus condamnable qu’il était au pouvoir des Anglais comme Grailly, à Cocherel, l’avait été des Français. Il ne s’en repentait point, car lui, au moins, ne changerait pas de suzerain. Quant à moquer l’ornement de son heaume, Grailly en substituant une tête de More à la noblesse d’un cygne, n’avait-il pas cherché la dérision ?
    Il concevait le mésaise de Calveley si toutefois il en éprouvait – : sa condition d’otage était suffisamment difficile, songeait l’Anglais, pour qu’il sût maîtriser sa grogne. Or, pour quelle raison se serait-il abstenu de fournir une leçon de féauté à un chevalier auquel le roi de France avait aveuglément accordé le pardon et qui, celui-ci reçu, s’était empressé de revenir dans le giron de son ancien

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