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Le pas d'armes de Bordeaux

Le pas d'armes de Bordeaux

Titel: Le pas d'armes de Bordeaux Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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maître ? Levant les yeux, il fut bien aise de ne pas découvrir, sur le visage de son compagnon, les signes d’un blâme aussi sévère qu’il le craignait.
    – Réponds-moi, Hugh, sans ambages. Aurais-tu agi comme lui si le roi de France s’était montré envers toi d’une indulgence… en or ? Aurais-tu renié ta parole pour revenir auprès du prince ?
    – En disant non à ton suzerain, et quitte à payer mon refus d’un long séjour en geôle, je lui aurai épargné une déception. À ma sortie du Louvre ou du Châtelet, j’aurais galopé jusqu’au prince. On ne peut donner deux fois sa parole à deux rois qui sont ennemis… Le parjure est un crime. C’est pourquoi je désapprouve Grailly. C’est un…
    Calveley se cuirassa de mystère. Puis il reprit :
    – Je conçois mal que nous puissions un jour nous affronter arme contre arme, haine contre haine. Mais regarde plutôt qui nous arrive !
    La porte du dehors venait de se rouvrir. D’un pas lent, mesuré, deux femmes, bras dessus, bras dessous franchissaient le seuil de l’antichambre. Elles étaient brunes toutes deux sous l’escoffion aux truffaux épais brodés d’orfroi, qui rehaussait leur chevelure. À défaut d’un air de famille, Tristan trouva dans leur démarche leurs regards, leurs sourires, l’expression d’une ressemblance étroite et peut-être affectée qu’il semblait être le seul à découvrir. Par-delà cette accointance vibrait une intimité dont la nature lui échappait.
    Un pentacol d’or à gros chaînons rendait hommage à leur cou haut et pâle. Leur robe était la même : une écarlate blanche qu’un demi-ceint pareil à leur collier serrait à la taille. Parfois, comme elles marchaient toujours parmi les hommes admiratifs, on voyait luire sous les plis onduleux de leur vêtement, le doré de fines chaussures. Autour d’elles, ce n’étaient que regards sincèrement éblouis, murmures, salutations et capellades. Calveley se pencha :
    – Elles te merveillent, compère, dirait-on. Tu serais ébaudi en voyant leur litière. En vérité, c’est une grande fierte 29 d’or et d’argent. Leur palais mouvant, leur reclusoir… Ce que je peux te dire encore, c’est qu’elles s’aiment bien.
    Trois hommes, dont John Northbury, se levèrent du banc qu’ils occupaient. Elles y prirent place avec des précautions extrêmes et la plus jeune – encore que ce fût de peu fit au contact du bois tiédi par les séants mâles, une grimace qu’elle dissimula promptement d’une belle main nue.
    – Elles n’ont pas leur place en ces murs, commenta Calveley, mais il leur plaît de se montrer cointes de robes vraiment pareilles et attrayantes. Regarde ces encolures ! Elles mettent à l’air la moitié de leurs petits melons et sous cette écarlate, il n’y a presque rien.
    Le silence qui s’était établi à leur apparition – et qui persistait – ne semblait point indisposer ces deux beautés formelles. Au contraire : elles se délectaient d’être honorées par les regards plus ou moins appuyés, voire pénétrants, des hommes de tous âges affriandés par leurs appas et dont l’intérêt lubrique ou désintéressé n’était pas pour leur déplaire. Elles savaient par expérience que leur présence affriolait les jeunes, et l’on eût pu penser qu’elles étaient venues tout exprès chez le prince pour requêter des compagnons et les conduire à des fêtes secrètes.
    Le cerbère aposté à la porte du prince s’était empressé vers elles dès leur apparition. Maintenant, il s’inclinait sans trop oser jeter une œillade sur les deux couples de seins que le soleil avait soigneusement dorés, ce qui laissait supposer des matinées ou des après-midi de nonchaloir dans une nudité complète, sous les regards de Phébus – le vrai et non celui de Foix qui se prenait pour tel. Les circonstances ne se prêtaient guère à des conversations enjouées. Cependant, les deux amies riaient.
    – Nous venons voir mon époux pour lui signifier nos suggestions sur les joutes, dit l’une d’elles dont les lèvres peintes laissaient paraître, parfois, l’éclat de quelques perles.
    – Jeanne de Kent, murmura Tristan. Elle n’a pas changé.
    – Elle est de ces beautés que l’on croit immortelles.
    – Et l’autre, Hugh, qui est si magnifique en son étrangeté ?
    – La cousine de ton beau-père : Tancrède (351) .
    La gorge de Tristan se serra. Cette femme devait avoir quarante ans, mais sa

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