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Le Passé supplémentaire

Le Passé supplémentaire

Titel: Le Passé supplémentaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pascal Sevran
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offrir cinq mois plus tard.
    Il pensait à sa carrière et à la France peut-être aussi. J’avais, pour ma part, des problèmes d’emploi du temps pour le lendemain, partagé que j’étais entre mon coiffeur et Drieu La Rochelle qui m’avait promis de me raconter Nuremberg d’où il revenait illuminé, la croix gammée en bandoulière.
    Je n’ai pas hésité, Drieu avait des certitudes lyriques. Mes cheveux blonds et mes yeux bleus me qualifiaient pour être son interlocuteur privilégié ; il me trouvait intelligent. C’était suffisant pour que je l’aime. Je le voyais souvent.
    François me reprochait « cette amitié encombrante dans la famille d’un député socialiste ».
    Moi qui n’étais ni socialiste, ni communiste, ni juif, ni franc-maçon, ni fasciste, ni rien, moi qui n’étais rien que moi, je m’en foutais éperdument.
    Tout allait bien. J’avais du temps à perdre et des vignobles dans le Beaujolais.
    Je comptais sur François pour surveiller mes récoltes et vendre mon vin.

2
    Quelque part en Argentine, ma mère s’assourdissait à la musique poisseuse des bandonéons tristes. Elle ne m’entendait pas l’aimer. J’aurais pu crier plus fort. Je ne l’ai pas voulu. On ne réveille pas les somnambules avec des larmes.
    Valentine, en silence, me regardait tricher.
    J’organisais les heures de ma jeunesse sur les calendriers chargés de mes amis célèbres.
    Ils étaient un peu ma famille inventée.
    François avait beau me répéter inlassablement qu’on est pas un peu écrivain en tutoyant les écrivains, ni même un peu maréchal de France en se faisant réformer par un chef de cabinet. Je n’en croyais rien.
    Sûr que j’étais de mériter mieux que les plaisirs ordinaires promis aux garçons de ma génération, je ne doutais pas d’être digne de l’élite qui m’avait accueilli dès l’enfance.
    J’admirais les vedettes. Celles de ma vie avaient leur nom dans les journaux chaque matin, à tour de rôle, entre Hitler et Jean Sablon. Je pensais bien partager à bon droit un peu de leur gloire.
    Quand je l’ai connu, Pierre traînait tard le matin dans le lit de Cocteau depuis un mois déjà. Il n’avait jamais vu la mer. Son père était cordonnier, sa sœur blanchisseuse. Il était pauvre, mais ça lui allait bien. Quelques nuits passées dans les draps d’un poète lui avaient appris l’insolence. Je ne pouvais pas être jaloux de lui, mes rapports avec Jean, pour intimes qu’ils étaient, s’arrêtaient malgré tout à la porte de sa chambre à coucher.
    Pierre n’aimait pas les hommes ; il me l’a juré dès notre première rencontre.
    — Afin, me dit-il, qu’il n’y ait pas d’équivoque entre nous.
    C’était une précaution bien inutile. Je ne lui demandais rien.
    Il couchait avec Cocteau. Ce n’était pas remarquable et je n’y voyais pas d’inconvénient.
    Peut-être se souvient-il aujourd’hui qu’il me disait, en rougissant : « Je dors chez Jean, c’est tout. »
    Je me suis bien amusé avec Pierre. Il découvrait la vie. On s’échangeait les filles. Il sortait la nuit sur la pointe des pieds. Il écrivait à son père et à sa sœur restés à Montargis : « Je m’amuse comme un fou. J’habite chez M. Jean Cocteau, poète à Paris. »
    Jean le faisait poser nu, debout sur une table en marbre. Il avait l’air d’un ange. Il lui manquait des ailes pour s’envoler. Magicien généreux, Jean les lui a données.
    Il a disparu un matin, pour ne plus revenir.
    Cocteau n’a pas eu trop de peine ; il l’avait emprisonné dans la marge de ses cahiers d’écolier.
    C’est à moi que Pierre a beaucoup manqué. Son absence m’a ouvert le cœur et les yeux.
    Lucien, le fils de la concierge, avait des projets matrimoniaux en province.
    François était en campagne électorale.
    Moi, j’étais seul. J’ai emmené Valentine en pèlerinage à Senlis.
    Hormis une très banale rougeole, je n’avais souffert d’aucune des maladies généralement réservées aux enfants.
    Aussi, la quarantaine que m’imposèrent la jaunisse et les oreillons réunis restera-t-elle mon plus sinistre souvenir.
    J’allais avoir vingt ans. J’étais certain de mourir et pour ne pas faire les choses à moitié, j’ai réclamé l’extrême-onction.
    Valentine m’expliqua que ce n’était pas urgent et que, d’ailleurs, je n’étais pas baptisé.
    J’ai déchiré le testament dérisoire que j’avais préparé.
    Le médecin qui me soignait était un

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