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Le Passé supplémentaire

Le Passé supplémentaire

Titel: Le Passé supplémentaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pascal Sevran
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écrire « je t’aime et adieu » avec son sang, sur les murs des waters d’un café lumineux.
    — Voilà comme il convenait de mourir d’amour en 1925, me lança-t-elle en guise de reproche.
    Étonnante Youki ! Lorsque Valentine l’a rencontrée, elle inspirait à Robert Desnos de misérables poèmes.
    En brûlant le poète, Himmler a immortalisé des vers de mirliton qui ont chanté longtemps dans la tête de Youki. Elle l’aimait.
    Valentine avait trouvé la complice idéale. De souvenir en souvenir, elles réveillaient des fous rires et des larmes oubliées.
    Il n’y a pas si loin de Montparnasse à Senlis.
    Un danseur mondain qui levait le petit doigt pour dire bonjour, avec l’accent d’Oxford, les avait présentées l’une à l’autre.
    Ce « chéri » des bords de la Tamise, qui répondait au nom de Willy, n’était pas vraiment bête, pas vraiment danseur, et pas vraiment beau, mais il avait de la sensualité à revendre et ne s’en privait pas.
    Il était l’étoile d’un ballet désordonné qu’il menait de table en table, tous les après-midi, entre cinq et sept.
    Sans doute honorait-il Youki à ses moments perdus. Elle était sa marraine de spectacle.
    Ma grand-mère me pria de croire qu’il n’était rien pour elle qu’un gigolo de cœur.
    La précision n’était pas inutile.
    Je n’ai quand même pas pu m’empêcher de lui recommander d’être sage à la manière d’un grand frère s’adressant à sa petite sœur, au soir de son premier bal.
    J’ai rejoint la demoiselle qui m’attendait.
    Je lui avais promis une nuit d’amour au Touquet.
    Elle s’impatientait.
    Raconter cette nuit d’amour m’ennuierait profondément. Elle ne fut d’ailleurs pas remarquable. Chacun de nous en a connu de semblables. Je pourrais dire que la demoiselle s’appelait Lucienne… dire aussi qu’elle avait les seins tendres et mille autres choses de ce genre. Mais non je préfère me taire. J’ai pour habitude d’éteindre la lumière quand je me déshabille. Sauf avec les filles publiques. Leurs manières de médecins me tranquillisent.
    Que faisiez-vous en ce temps-là ?
    Bien décidé à ne pas me laisser distraire par le vacarme ambiant, je dissipais ma jeunesse dans les arrondissements élégants du Paris de l’entre-deux-guerres.
    J’avais des préoccupations sans importance.
    Égoïste, j’étais le seul à ne pas avoir le vertige dans un monde qui s’emballait comme l’assiette au beurre de la foire du Trône. Était-ce vraiment ma faute ?
    Le deuxième printemps du Front populaire vire au vert-de-gris.
    Entre le François : Jaurès tout va bien, les communistes avec nous, Limousins de tous les pays unissez-vous, Matignon terre promise et le François : l’Espagne quoi faire ? Saint Blum priez pour nous, Thorez nous emmerde… il y a un château espagnol qui s’écroule au soleil des congés payés.
    À Guernica, les nationalistes amateurs d’art offrent à Picasso du sang pour un chef-d’œuvre.
    Je boucle mon sac de voyage. Drieu sera là dans cinq minutes, il m’emmène à Berlin. Pour me donner des idées.
    Il était tôt le matin quand nous sommes arrivés dans la patrie de Goethe et d’Arno Breker.
    Les jeunes dieux du stade dormaient encore à poings fermés, l’uniforme soigneusement plié au pied de leur lit.
    — Tu les verras, me disait Drieu, ils boivent des bières blondes et glacées qui leur ressemblent mais leurs ventres sont plats.
    Je les ai vus le soir même. Ils étaient cent mille, cent millions peut-être, solides et triomphants, le nez en l’air, la main tendue, jouissant debout à l’unisson pour un drapeau tout neuf.
    Ça ne sentait pas la sueur dans leur église à ciel ouvert. L’encens qui les enivrait, et m’enivrait aussi, avait une odeur de soufre rafraîchissante.
    Ils étaient les futurs maîtres d’une Europe décolorée.
    Les torches qui déchiraient la nuit pour cette messe en plein ciel n’y changeaient rien. La lumière blanche qui brillait dans leurs yeux venait de l’intérieur d’eux-mêmes. Les miens n’étaient pas assez grands pour tout comprendre et tout voir.
    Taches rouges et mauves couchées sur des bottes de cuir dur, des évêques hallucinés s’offraient en esclaves à des apôtres de quinze ans.
    Des vierges égarées cachaient entre leurs cuisses des couteaux de cuisine.
    Dans les vestiaires désertés des Jeux Olympiques, des généraux esthètes obligeaient des enfants blonds à disparaître sous

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