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Le Passé supplémentaire

Le Passé supplémentaire

Titel: Le Passé supplémentaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pascal Sevran
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volant.
    Bien sûr qu’il se souvenait.
    — J’étais un révolutionnaire bourgeois… Je suis un bourgeois révolutionnaire : il n’est pas interdit de devenir raisonnable, non.
    En bavardant nous attendions ses invités pour fêter la victoire d’une nuance subtile.
    François avait le bonheur éloquent. La justice et la France élevaient la moindre de ses conversations au niveau du discours politique. La justice et la France, ces deux mots sonnaient bien dans le préau des écoles laïques. Ils avaient fait de lui un autre homme.
    Il serait ministre. Il n’en doutait pas.
    Cet après-midi-là, il n’était encore que député, mais lorsque Édouard Herriot le serra sur son ventre pour l’accolade de circonstance, déjà ses pieds ne touchaient plus terre.
    Le maire de Lyon fut très entouré durant le quart d’heure où il présida de sa haute autorité la belle assemblée de républicains joyeux.
    Le président du Conseil s’était fait excuser mais des colleurs d’affiches et des secrétaires de mairie étaient là en habit du dimanche. Il faut croire que je ne dénotais pas trop, car des gens du parti de François m’invitèrent à rejoindre leurs rangs.
    Je prêtais à chacun une oreille attentive.
    — Ne me déshonore pas, m’avait dit François.
    Je m’y efforçais.
    J’aurais pourtant volontiers jeté un verre de limonade au visage d’une pasionaria limousine de dix-huit ans qui prétendait de manière hystérique que Cocteau possédait tous les dons possibles et imaginables, même et surtout celui de faire croire qu’il avait du génie. Qu’en savait-elle cette bergère syndiquée ?
    Je dissimulai mal ma colère.
    — Ce n’est pas vraiment faux, me dit un bel homme assez jeune qui se tenait dans mon dos, accoudé à la poignée d’une fenêtre. Bonjour, je m’appelle Roger Vailland.
    Que faisait là le feuilletoniste du Peuple , organe de la C.G.T. ? Qui l’avait invité ? Il avait le regard aigu et inquiet des intellectuels tourmentés par la vitesse du vent. Il penchait nettement du bon côté.
    Mais qui peut savoir ? Il disait des choses intelligentes. Mais Brasillach aussi disait des choses intelligentes.
    C’est la même angoisse qui mène au prix Goncourt ou au peloton d’exécution.
    Qui est génial ? Qui ne l’est pas ?
    Qui a raison ? Qui a tort ?
    Derrière les carreaux d’un salon déserté, nous regardions la Seine suivre son cours irrésistiblement.
    L’odeur du tabac froid me tournait la tête.
    Nous nous interrogions en silence, Roger Vailland et moi.
    — Qui êtes-vous ? me demanda-t-il brusquement.
    Sa curiosité tardive ne m’étonna pas. J’étais en train de me poser la même question.
    — Je suis le cousin de François, ai-je répondu sans hésiter.
    Je n’étais rien d’autre, en effet. Je n’avais pas d’excuse valable.
    Je n’allais plus avenue de Ségur que pour y dîner parfois.
    Valentine s’habillait chez Schiaparelli. Elle sortait pour se désennuyer.
    — Je ne te vois plus beaucoup, me disait-elle lorsque nous nous croisions.
    François lui faisait porter des fleurs deux fois par semaine, et l’invitait à déjeuner une fois par mois.
    Ce régime, pour grand-mère résignée, ne suffisait pas à occuper ses loisirs de comtesse à la mode.
    Je fus quand même surpris de me trouver nez à nez avec elle à la Coupole, où je venais chercher une passagère agréable et disponible pour mes week-ends en Bugatti.
    Attablée devant le café crème cher aux Montparnos, Valentine s’entretenait de l’importance de la philosophie hindoue dans l’œuvre de Maurice Dekobra avec une blonde créature belge aux ongles laqués de rouge.
    Elle semblait s’amuser follement.
    — Je ne te présente pas Youki, me dit-elle, vous vous connaissez, je suppose.
    Le « je suppose », chargé de lourds sous-entendus, me donna à réfléchir un court instant.
    Mais non, vraiment, je ne connaissais pas Youki. J’étais sans doute le seul à Paris.
    Youki s’appelait Lucie, comme tout le monde, mais elle avait su décoiffer la frange de Foujita qui l’avait épousée et baptisée de ce nom de chien. Elle avait posé pour lui et Picasso, aimable, trouvait les toiles moins réussies que le modèle.
    Youki n’était pas rien. J’allais en culottes courtes quand, déjà, elle embellissait les nuits aux alentours du métro Vavin. C’était quand les hommes avaient de l’imagination.
    Un peintre américain s’était ouvert les veines pour lui

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