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Le Passé supplémentaire

Le Passé supplémentaire

Titel: Le Passé supplémentaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pascal Sevran
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était dévorée par une passion lubrique pour Porfirio Rubirosa. Elle n’était pas laide. Quelques minutes avant qu’elle n’arrive, je me cachais sur son palier, nu sous un drap réservé à cet effet, et troué à la place des yeux. Je prenais soin de décrocher la faible ampoule de quarante watts qui répandait une lumière jaunâtre à chacun des étages et, lorsque Monique me tournait le dos pour tenter d’ouvrir la porte, je lui recouvrais la tête avec un bout du drap blanc qui protégeait ma nudité.
    — Au secours, murmurait-elle, le plus doucement afin que personne ne l’entende et, pour moi, seulement, plus doucement encore, elle ajoutait : « Vous êtes un satyre, hein ? »
    Cette idée lui plaisait. Pour ne pas la décevoir, je lui promettais les pires outrages, mais je n’ai jamais tenu parole. Je voulais lui faire peur, pas lui faire plaisir.
    Je recommençais cette petite comédie aussi souvent que j’en avais envie, mais moins souvent sans doute qu’elle ne l’aurait souhaité.
    Un jour, je me suis lassé. Elle a bu un bon verre d’éther, au fond duquel s’était noyé le fantôme de Rubirosa.
    Je dormais avec un pyjama trop court. Ma montre et mon réveil marquaient toujours une heure de retard. Je m’offrais, à Barbizon, des dimanches à la camomille que Valentine acceptait de partager avec moi.
    — Tu n’es pas assez jeune pour ton âge, me disait-elle …
    Dreyfus ? Oui, évidemment, elle se souvenait. Son père et son oncle s’étaient battus en duel à cause de lui. Mais elle ne savait pas lequel des deux avait raison, parce que, entretemps, tout avait changé. Tout change toujours !
    Et d’ailleurs, ça intéresse qui cette histoire aujourd’hui ?
    La cloche de l’église, à Barbizon, sonnait paresseusement des quarts d’heure blancs.
    Je n’avais pas vu Cocteau depuis plusieurs mois. Trop souvent je m’étais plaint à lui de ceux que j’appelais les passants de ma vie, pour n’avoir pas quelques scrupules à lui revenir aussi soudainement que je m’étais volatilisé. J’ai quand même trouvé le courage de pousser la porte entrebâillée du premier étage à gauche du 36 de la rue de Montpensier, où il venait d’emménager.
    Je l’ai retrouvé, intact funambule. En équilibre sur le rebord de la fenêtre de sa chambre. Il battait la mesure pour M me  Colette, de l’Académie Goncourt.
    Je m’attendais à des reproches.
    — Tu tombes bien, me dit-il… Je pose des rideaux, tu vas m’aider.
    Cocteau, un marteau à la main, drapé de velours, déclamait des poèmes érotiques en hommage à d’invisibles marins roses.
    Quelle émotion pour le jeune homme que j’étais !
    J’ai passé mon après-midi à lui tendre des anneaux de bois et des clous. Il me racontait des choses incroyables.
    Il me disait : « Jeannot va rentrer. Ah ! Oui, c’est vrai, tu ne connais pas Jeannot… »
    Il s’indignait : « Max Jacob prétend que Dieu ne m’aime pas, mais qu’en sait-il exactement ?
    De toutes façons, Maritain m’a promis un certificat de bonne conduite et il est bien placé, lui. » Je lui racontais Nuremberg et Drieu, l’avenue Rachel et le cimetière Montmartre, Daudet et Pélagie.
    — Drôles d’idées, au pluriel, drôles de gens singuliers, me disait-il en tirant avec volupté sur sa drôle de cigarette.
    Je lui demandais comment me réconcilier avec Berl son ami, son voisin du quatrième.
    — Monte-lui des anémones, me disait-il, il adore ça.
    En Suisse, où il ne se passe jamais rien, je m’inventais des solitudes littéraires. Interminables automnes …
    J’écrivais des textes sophistiqués pour des prospectus du syndicat d’initiative.
    « Genève a l’exotisme glacé comme le papier d’argent des chocolats de luxe… Genève interdite aux enfants qui rient…
    Genève propre et bien élevée. On est prié d’essuyer ses pieds en entrant ».
    Avant j’étais bavard. Je parlais haut et fort. J’étais sympathique. J’étais jeune. Je devenais vieux et serein sous les peupliers qui bordent le lac Léman. J’affectionnais particulièrement l’itinéraire choisi avant moi par des princes en exil. Je m’arrangeais bien avec la mélancolie.
    Le soir, après avoir dîné légèrement, je m’installais confortablement, dans le hall désert de l’hôtel « Beau Rivage ». Le personnel connaissait mes habitudes. Je n’avais pas besoin de réclamer ma bouteille d’eau minérale plate, on me la servait pas

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