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Le Passé supplémentaire

Le Passé supplémentaire

Titel: Le Passé supplémentaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pascal Sevran
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avait songé.
    « L’affaire », mon affaire, je ne pensais plus qu’à ça. Je ne résistais pas assez au plaisir d’en parler. Cela me valut quelques ennuis.
    Max Jacob me cassa une canne sur la tête.
    Provocateur c’est à Berl que j’allais me plaindre.
    Très Proust en colère, il m’envoya illico ses chaussons à la figure.
    De quoi se plaignait-il ? Le cher Louis-Ferdinand venait de lui adresser : Bagatelles pour un massacre. Avec ces mots : « Tu ne seras pas pendu, tu seras Führer à Jérusalem. » Un peu ironique comme dédicace, mais finalement assez gentille.
    Quand le doute m’envahissait, rarement, mais cela m’arrivait, je le confesse humblement, il me suffisait d’entendre Pélagie Pontin se faire la voix pour m’encourager :
    — Bien sûr, je ne suis pas si instruite que vous, moi, monsieur, mais quand même, je vois bien, c’est la même écriture.
    La même conclusion que tous les experts, la même certitude que sept ministres de la Guerre successifs, la même bonne foi que des millions de braves gens.
    Non ! Je ne pouvais pas laisser tomber une affaire pareille. Il retournera à l’île du Diable.
    — Hélas, monsieur, il est mort déjà depuis plus de trois ans.
    — Ah ! Oui, j’avais oublié.
    Je relisais pêle-mêle L’Éclair, La Croix, La France catholique, L’Antijuif, L’Action française, L’Avenir militaire, L’Indépendance bretonne, Le Gaulois, Le Journal officiel, etc., même L’Aurore pour être objectif.
    À côté de « J’accuse », en marge, mon grand-père avait griffonné :
    « Pauvre Émile, il a encore fait une connerie, son cœur le perdra. » Je ne fermais pas les yeux sans avoir relu cette grande vieille page jaunie du Figaro du 6 janvier 1895 où Léon Daudet raconte magnifiquement la cérémonie de la dégradation à laquelle une foule de patriotes assista malgré le froid.
    « Il règne un tumultueux silence. Les nuages s’écartent. Un rayon de soleil, bref et sanglant, verse un peu de vie sur cette mort pire que la mort…
    Je prends ma lorgnette. Elle danse dans mes mains et, à travers une sorte de buée, je suis de près ce décorticage symbolique…
    Le condamné n’a ni recul ni secousse. Il est soumis comme un pantin figé. J’entrevois sa tête chafouine et blafarde dressée par un ultime défi… Que peut-on faire de plus à ce petit automate, complètement noir et dépouillé de tout, à cette bête hideuse de trahison qui demeure debout sur ses jambes roides…
    Pour ce scélérat, la souffrance morale n’est rien, il est au-delà d’elle ; nous sommes plus torturés que lui.
    Il n’a plus d’âge. Il n’a plus de nom. Il n’a plus de teint. Il est couleur traître…
    Le misérable n’était pas Français. Nous l’avions tous compris par son acte, par son allure, par son visage. »
    — Vous n’étiez pas né, vous monsieur, mais moi, Pélagie Pontin, je peux vous dire que c’est vrai. J’y étais place Fontenoy avec mon père, un grand Français qui avait perdu un bras en 70 pour sa patrie. Tiens, je nous revois comme si c’était hier, j’en frissonne encore. Qu’on le fusille ! Qu’on le fusille ! hurlait mon père, un brave homme pourtant, et pas méchant pour deux sous.
    Je vivais des heures exaltantes à remuer la boue encore fraîche d’une tombe pourtant suffisamment salie.
    Beaucoup de ceux qui avaient rêvé d’être les fossoyeurs de ce capitaine binoclard, finalement mort dans son lit, m’apportèrent une aide empressée. Daudet lui-même était fier de moi. Il me l’avait fait savoir par sa secrétaire qui s’était déplacée avenue Rachel pour me remettre quelques-uns des documents importants qui me manquaient.
    — Monsieur Daudet m’a priée de vous adresser ses vœux de réussite, me dit-elle. Il est ému de trouver aujourd’hui, à ses côtés, le petit-fils d’un homme unanimement respecté dans les couloirs de L’Action française.
    Aux remerciements intimidés que je lui adressai, il répondit par une longue lettre embarrassante dans laquelle il était question de mon nationalisme courageux, du mérite que j’avais de ne pas suivre un cousin égaré, de Bayard et de Maurras.
    « Je le sais, m’écrivait-il, la belle jeunesse de France, celle qui ne s’avachit pas dans le mensonge, celle qui n’a pas renoncé à l’honneur, elle est toujours debout, prête à se dresser aux portes des églises menacées, prête à prendre les armes pour défendre son

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