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Le Passé supplémentaire

Le Passé supplémentaire

Titel: Le Passé supplémentaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pascal Sevran
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vite, car il était très encombrant et très riche ».
    « Mais tout se sait toujours et le médecin qui est dans le coup, il n’y coupera pas ! »
    « Ah ! Croyez-moi, j’en vois de drôles ici, et ce sont les femmes les pires. »
    Je ne passais jamais devant sa loge sans m’y arrêter. J’aimais le formidable bazar de Pélagie. Sur sa cheminée, la photo de Jean Gabin dans Gueule d’Amour côtoyait la Sainte Vierge, le calendrier des Postes et un bocal de poissons rouges.
    Partout des croix, des crucifix, des images pieuses et un chapelet posé sur un missel ouvert. Elle s’excusait :
    — Je suis très catholique … Vous savez.
    Pélagie Pontin tenait le journal des enterrements. En quarante ans, elle en avait daté et répertorié beaucoup.
    Aucun mort anonyme ou célèbre n’échappait à sa vigilance. Son seul vrai plaisir consistait à parcourir d’un pas lent les allées du cimetière Montmartre qu’elle connaissait par cœur.
    Je l’accompagnais parfois. Munie d’un petit balai elle nettoyait méticuleusement les tombes de ses chers disparus, dont pas un n’appartenait à sa famille mais qu’elle s’appropriait au fil des années.
    — Tenez, celui-là par exemple : mort pour la France. Qui s’en souvient, à part moi ?
    J’étais bien avenue Rachel. Les voisins ne m’adressaient pas la parole. Ils se méfiaient de moi.
    On me trouvait bizarre. J’étais un fils à papa sans cœur qui avait fait chasser des pauvres gens.
    J’avais des maîtresses aussi voyantes que ma Bugatti rouge. Ce qu’on disait de moi m’importait peu. Je m’accordais bien à la sérénité des lieux. La vue sur le cimetière me donnait à réfléchir gravement. J’écrivais mes pensées : une ville sans concierges, ça n’a pas d’histoire, pas de goût, c’est insipide telle une soupe sans poivre, ni sel, une ratatouille informe.
    Je n’avais pas de chance. Quelque part, quelqu’un écrivait la même chose et il signait Louis-Ferdinand Céline.
    Cela m’a beaucoup contrarié quand je l’ai appris.
    François s’était débrouillé pour que j’assure l’intérim de la critique spectacle au Populaire . Je n’avais aucun droit à ce titre sinon un penchant marqué pour les dames du music-hall. Mon seul article fut très remarqué. J’y rendais compte de la prestation de Rina Ketty à l’« A.B.C. ». Je le concluais de la façon suivante : « M lle  Ketty ne se tient plus de joie. Elle revoit “les grands sombreros et les mantilles” et Franco fait fusiller les empêcheurs de flamenco. »
    Comme vous le voyez, je mêlais habilement l’actualité parisienne et internationale. Hélas mon confrère ne tarda pas à recouvrer la santé, ce qui me priva définitivement d’exercer mes talents de journaliste.
    Je ne savais ni quoi penser, ni quoi faire. En fouillant dans les archives de feu M. le comte, mon grand-père, j’avais retrouvé un énorme paquet de coupures de presse sur « l’affaire ». Je me demandais si Dreyfus était coupable ou non.
    C’était vraiment le moment. Je me suis fait insulter par François que, décidément, je désespérais.
    Barrés et Paul Valéry, contre Clemenceau et Zola, je me régalais.
    Aux murs de mon bureau, j’avais épinglé à gauche les pour Alfred, à droite les contre Alfred. Celui de droite n’était pas assez grand. Pélagie, qui n’était pourtant pas raciste, m’avait prévenu…
    — Une vilaine histoire de youpins qui voulaient nous voler la France. C’est pas pour dire, monsieur, mais regardez-moi sa tête, et son regard pas franc.
    C’était vrai. Il n’avait pas l’air honnête le petit capitaine rachitique.
    — Sûrement maniaque sexuel, avec ça.
    Pélagie Pontin vidait mes cendriers, arrosait mes fleurs, et faisait mon lit.
    — Vous verrez qu’ils finiront par lui construire une statue à leur Dreyfus.
    Il n’avait même pas eu le bon goût de mourir en héros à Verdun, comme tout le monde. Non, il était mort tranquillement chez lui, et lieutenant-colonel, s’il vous plaît.
    À mesure que j’avançais dans mon enquête j’avais de bonnes raisons d’espérer. Je le tenais mon livre. Enfin presque. Il ferait scandale, j’en étais sûr. Arthème Fayard pouvait se frotter les mains. J’examinai à la loupe le fac-similé des bordereaux publiés dans les journaux.
    J’établissais des plans, des recoupements. J’analysais les contradictions, fébrilement, sûr qu’avant moi jamais personne n’y

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